INTERPRETER LA BIBLE
Réflexion sur l'herméneutique préparée par la Commission de théologie
en vue des Synodes régionaux 1996 AVANT-PROPOS "
Comprends-tu ce que tu lis ? ... " Comment le pourrais-je, si
quelqu'un ne me guide ? " La
question de Philippe au ministre de la reine d'Ethiopie, et la réponse de
celui-ci (Actes 8), rappellent à tout lecteur de la Parole de Dieu qu'il
ne suffit pas de simplement lire.
Le contenu profond de ces textes, leur teneur spirituelle doit se comprendre.
Il faut donc les interpréter. On
appelle herméneutique cette
recherche du sens, de la signification et (éventuellement) de la portée
des textes. On utilise le même terme pour désigner des systèmes
particuliers utilisés par les uns et les autres (une herméneutique). En
effet, l'articulation des critères et les variations dans la manière
d'effectuer ce travail conduisent à des conclusions différentes, ce qui
donne lieu à des "conflits d'interprétation" (P. RICOEUR). Si
l'on considère que, par la Bible, Dieu s'adresse à nous, il s'agit alors
de déchiffrer, de décoder ce message à partir des textes reçus. Pour
ce faire trois étapes s'imposent :
1/ Découvrir ce que dit précisément le texte (termes,
personnages, lieux, événements) ;
2/ Evaluer sa portée éternelle et spirituelle ;
3/ Dégager ses implications pratiques. Parmi
les différents facteurs qui interviennent dans la construction d'une herméneutique,
le facteur culturel s'avère particulièrement déterminant, à chacune
des trois étapes du processus. Premièrement,
la diversité des cultures amène le lecteur contemporain à tenir compte
du rôle de la culture dans ce que les textes bibliques rapportent, et
dans la manière dont ils les rapportent. Deuxièmement,
cette diversité oblige le lecteur à s'interroger sur la validité de ses
a priori, sur "les distorsions que nos présupposés apportent à
notre compréhension" (H. CONN). Tout en cherchant à être aussi
objectif que possible, le lecteur contemporain se rend compte qu'il est
lui-même marqué par sa culture. Bien souvent, il en arrive à remettre
en question la possibilité même d'une interprétation commune à tous, fût-ce
en un même temps et lieu. D'où la solution pluraliste : à chacun sa vérité. Enfin,
la question se pose de savoir comment les données de l'Ecriture peuvent
être appliquées dans le contexte particulier du lecteur, alors que les
auteurs bibliques se sont adressés à d'autres personnes dans d'autres
situations. Le défi consiste donc à trouver ce qui, dans leur message,
non seulement a valeur de vérité éternelle, mais aussi au travers de
quels gestes, attitudes ou paroles cette vérité éternelle devrait se
traduire dans la situation nouvelle qui est celle du lecteur. De
ceci, il découle qu'il n'y a pas de lecture neutre de l'Ecriture. Sa
juste interprétation requiert de la part du lecteur un travail sur le
texte et un travail sur lui-même. La distance entre l'auteur initial, les
premiers lecteurs et les lecteurs actuels doit être surmontées. L'ancienne
herméneutique représentait cet effort par un cercle fermé (observation
/ analyse / interprétation). Ceci suggère qu'il suffirait d'un tour
d'exploration pour boucler la boucle et conclure à des certitudes
absolues par rapport à toutes les questions posées. En fait, le travail
herméneutique se rapproche d'avantage de l'image d'une spirale, qui suggère
la possibilité d'une dynamique. Elle invite à un approfondissement (sans
le garantir !) que l'on peut rapprocher des aspects de progrès de la vie
chrétienne (sanctification, croissance dans l'amour, dans la
connaissance, dans l'unité). Cette
prise de conscience du nécessaire travail herméneutique, d'une part
force le croyant et l'exégète à l'humilité, car il n'est pas forcément
agréable de devoir reconnaître que, même si la vérité existe, on ne
la connaît que partiellement (1 Corinthiens 13/12), et peut-être mal.
Mais d'autre part l'image de la spirale encourage et exhorte à s'efforcer
de réduire la marge d'erreur et de prier Dieu de permettre de progresser
dans ce sens. Cette démarche devrait permettre de continuer d'affirmer et
de confesser avec force et pleine conviction les certitudes de la foi. Les
paragraphes qui suivent ont été rédigés pour susciter la réflexion et
pour clarifier le débat à ce sujet. THESES
A1 :
Jésus-Christ au centre de la Bible Les
Ecritures, seule règle ou "canon" pour la foi et la vie chrétienne,
sont à recevoir et à comprendre à partir de leur thème central :
l'oeuvre divine de salut en Jésus-Christ. Cette affirmation ne ressort
pas d'un choix arbitraire mais du témoignage explicite de la Bible (Jean
5/39, 20/30-31). Cette
perspective ouvre nos intelligences au sens véritable et ultime des
Ecritures (Luc 24/15-32). Elle va nous permettre de lire les textes et de
les interroger quant à leur rôle, place et signification par rapport à
ce thème central (Matthieu 5/17).
A2 : La vérité de la Bible La
Bible est la Parole de Dieu. A ce titre elle est entièrement digne de
confiance. En elle et par elle nous pouvons connaître la vérité sur
Dieu, sur le monde et sur le salut. Or,
dans cette quête de la vérité, nous devons commencer par ne pas
projeter nos propres conceptions de la vérité (par exemple comme une
entité indépendante de Dieu, cf. Jean
14/6 ou Jean 17/17), mais bien plutôt nous laisser conduire dans celle
que la Bible nous présente. Dans
cet esprit nous ne devons pas enfermer la question de la vérité dans une
simple conformité aux faits historiques ou scientifiques (la vérité
d'une parabole ou d'une proposition sapientiale n'est pas de cette
nature). En conséquence, le niveau d'accord entre les énoncés bibliques
et la réalité factuelle - et donc l'importance qu'il faut attacher à
cette correspondance - est variable en fonction des genres littéraires et
des intentions du texte.
A3 : La clarté de la Bible
Bien
qu'il y ait des passages difficiles dans la Bible (2 Pierre 3/16), son
enseignement est clair en tout ce qui est nécessaire au salut (Luc
16/29-31). C'est au sein du peuple de l'Alliance, dans le vécu "en
Christ" et "par l'Esprit" que cette affirmation prend tout
son sens et tout son poids. En
ce qui concerne les difficultés, celles-ci ressortent le plus souvent des
enseignements éthiques. En effet, les ordonnances divines sont communiquées,
dans la plupart des cas, non pas dans des normes de comportement immuables
et universellement valables, mais en face de situations historiques concrètes
que nous n'appréhendons pas toujours clairement aujourd'hui. La
recherche de sens, en ce qui concerne bien des passages bibliques continue
donc d'être une réalité pour le croyant et pour l'Eglise. A4 : La suffisance de
la Bible
La
clôture du canon biblique indique que la Révélation qui nous parvient
par ces écrits est achevée et par là-même suffisante pour nous
conduire sur le chemin de la sanctification et du salut (Apocalypse
22/18). Il
en ressort que le travail de l'interprète n'a pas pour but de faire
parler les silences (comme s'il y avait une insuffisance de l'Ecriture),
mais d'éclairer notre contexte et nos questionnements contemporains par
cette Parole révélée en montrant sa signification pour notre temps. Ce
faisant, l'interprète doit se garder d'imposer aux textes des
"grilles de lecture" étrangères à leur genre ou à leur
intention, ou même à la pensée biblique en général, dans le but
d'obtenir des harmonisations faciles avec la pensée contemporaine. Cependant,
confesser la suffisance des Ecritures ne signifie pas que celles-ci
surgiraient au sein d'un vide. Le Dieu qui nous guérit de notre cécité
en Jésus-Christ et par l'Esprit, qui nous parle par la Bible, se révèle
par ailleurs dans les oeuvres qu'il a faites (Psaumes 19/2-5, Romains
1/18-20). Ainsi, la Bible elle-même n'a de sens pour nous que parce
qu'elle s'inscrit dans un langage et un environnement qui ressort de
l'ordre créationnel. Il découle de cela que le recourt à des
informations extra-bibliques (qu'elles soient de l'ordre de la nature
comme de celui de la culture) pour comprendre, voire pour appliquer
correctement les ordonnances divines, peut être tout à fait légitime (1
Corinthiens 11/14-15). B1 : Une nécessaire interprétation De
tout ce qui précède il ressort qu'entre le stade de la lecture et celui
de la compréhension, se glisse obligatoirement une étape interprétative
(Actes 8/30-35). Celle-ci est
peu perceptible lorsque l'enseignement de l'Ecriture est "clair"
(voir A3), voire même massif (sur l'unicité de Dieu par exemple), ou
bien lorsque les clés de compréhension sont données par la tradition
unanime de l'Eglise (sur la Trinité par exemple) ; mais elle apparaît au
grand jour et dans toute son importance face à certaines difficultés
d'un texte (ou d'un sujet) et lorsque les clés traditionnelles sont
inexistantes, inefficaces ou contestées. On
comprendra donc aisément que le maintien effectif de l'autorité de la
Bible passe par des règles d'interprétation qui respectent l'objectivité
des écrits dans leur diversité, tout en permettant au lecteur
contemporain de saisir la cohérence du plan de Dieu et les applications
qui en découlent pour lui. B2 : La Bible tout entière La
connaissance du "christocentrisme" de la Bible (voir A1) se
nourrit de l'ensemble de l'univers biblique. Il ne saurait donc justifier
un tri à l'intérieur du canon. Si la Révélation a bien un centre, elle
n'est pas qu'un centre. Nous devons donc honorer les Ecritures dans leur
totalité (Matthieu 5/19-20, 2 Timothée 3/16), y compris les passages
difficiles, obscurs ou qui ne s'appliquent plus directement. Cette
prise en compte de l'intégralité du message biblique fait surgir inévitablement
des problèmes d'harmonisation, tant au niveau historique qu'éthique ou
doctrinal. Ceux-ci peuvent être abordés grâce à un certain nombre
d'outils parmi lesquels : -
une "exégèse" studieuse des passages concernés (voir B3) avec
notamment une étude des contextes et des genres littéraires ; -
l'auto-interprétation des Ecritures (l'"analogie de la foi", cf.
Romains 12/6, ou la Bible
s'expliquant par elle-même) -
la priorité donnée aux passages les plus clairs sur ceux qui peuvent prêter
à des interprétations diverses ; -
la reconnaissance d'un développement de la Révélation à travers son
histoire (Romains 16/25-26). Cette
tentative, jamais achevée, d'une écoute et d'une compréhension de
l'ensemble de la Bible recèle une grande force. Elle permet à la Sainte
Ecriture d'être vraiment la pierre de touche de nos pensées et de nos
croyances ; elle nous renvoie constamment vers une autorité toujours extérieure
à nous-mêmes et qui, de ce fait, continue de corriger et de contrecarrer
tout effort humain tendant à emprisonner son message.
B3 : faire sortir le sens des
textes
Si
la Bible est un tout, elle est également une incroyable compilation de
documents divers, écrits pour des raisons variables, dans des
circonstances différentes et par des hommes, eux aussi, très divers. Comprendre
le sens de ces textes, c'est donc d'abord les prendre au sérieux tels
qu'ils sont. C'est pourquoi les approches mystiques ou allégoriques,
largement utilisées dans l'Antiquité et au Moyen Age, ont été écartées
par les Réformateurs (1).
Celles-ci, non seulement ne respectent pas les écrits dans leur véritable
signification, mais contribuent de plus au développement d'une gnose chrétienne
que seuls des interprètes autorisés peuvent discerner. Par conséquent
l'"exégèse" réformée fera appel, sans crainte, à des méthodes
scientifiques (étude des langues, des manuscrits et de leur transmission,
étude des contextes historiques, et tout ce qui découle des sciences du
langage) afin (très modestement !) de seulement préciser et enrichir la
compréhension naturelle que tout croyant peut avoir par la simple
lecture. Dans
bien des cas, néanmoins, ce travail d'investigation permettra de résoudre
des difficultés dont la solution n'est pas accessible sans cette
recherche. Bien
entendu, l'étude du sens particulier d'un passage ne fait jamais
abstraction du fait qu'il s'agit d'une parole biblique, parole inspirée
de Dieu dont la signification ultime (ou sens "pleinier") est éclairée
par le rapport avec l'ensemble des Ecritures (voir B2), et leur intention
fondamentale (voir A1). ____________________ (1) Il ne faudrait
pourtant pas voir dans cette attitude un refus absolu de ces méthodes de
lecture, mais ne les accepter que là où l'Ecriture en suggère la
validité et en fournit par ailleurs le contenu. L'exemple le plus caractéristique
est celui donné en Galates 4/21-27. B4 : Le secours de l'Esprit-Saint
Comprendre
la Bible est une démarche spirituelle en même temps qu'elle procède de
méthodes rationnelles. Ainsi, dans cette volonté d'écoute de ce que
Dieu veut nous dire, nous pouvons être assurés du secours de l'Esprit-Saint.
Son action est en effet nécessaire et suffisante pour nous amener à
recevoir la Parole écrite de Dieu dans sa vérité et son autorité. Les
chrétiens ne sont dépendants à cet égard, d'aucune autorité magistérielle
ou décision institutionnelle. Néanmoins,
le témoignage de l'Esprit n'est pas un témoignage libre et imprévisible,
car il entretient avec celui de la Parole une relation à la fois
exclusive et contraignante. L'Esprit est témoin, au sens le plus complet
du terme, il ne dit rien de lui-même, il ne dit que ce qu'il a entendu
(Jean 16/5-15). Il renvoie au témoignage extérieur de l'Ecriture, auquel
il n'ajoute, ni ne retranche. Grâce
à la coïncidence de ces deux témoignages, l'exercice d'une discipline,
et le "discernement des esprits" sont possibles dans l'Eglise.
Toute forme de conviction ou de comportement ne peuvent pas se réclamer
de l'Esprit (1 Jean 4/1-3). L'inspiration de l'Esprit se reconnaît concrètement
à la détermination qu'elle éveille et fait grandir dans le coeur des
croyants de vivre ce que l'Ecriture révèle. Autrement
dit, l'action de l'Esprit ne se substitue pas au travail d'interprétation
de l'Ecriture, au contraire, elle le motive en renouvelant
chez l'interprète (le croyant ou l'Eglise)
le désir de connaître la vérité et de marcher en elle (1 Corinthiens
2/10-13).
B5 : La place de la tradition
Il
n'y a pas d'Eglise où la lecture de la Bible serait dégagée de toute
influence traditionnelle. L'interprétation de la Bible a une histoire et
celle-ci joue un rôle important dans la définition a priori des thèmes
théologiques majeurs. La tradition
de l'Eglise universelle, comme celle des Eglises Réformées, fournit en
quelque sorte un "prêt à porter" doctrinal et éthique que
nous adoptons peu ou prou, consciemment ou inconsciemment. Cette
réalité n'est pas négative en soi, bien au contraire. S'il fallait, à
chaque génération, repartir à zéro dans le travail d'interprétation
de la Bible, l'Eglise serait en grande difficulté. Nous héritons et nous
bénéficions de la réflexion et du vécu d'une foule de témoins si bien
qu'on peut parler d'un progrès de la connaissance au cours des siècles (Ephésiens
4/11-13). Cependant
ce progrès n'est réel et possible que si la référence à la tradition
n'échoue pas dans le traditionalisme. En restaurant l'autorité
souveraine des Saintes Ecritures, les Réformateurs ont mis en question la
confiance inébranlable que l'Eglise avait en sa tradition. Celle-ci
pouvait errer, se tromper, et entraîner finalement des foules de croyants
loin d'une connaissance vraie de Dieu et du salut. Ainsi,
dans notre interprétation de la Bible, la compréhension traditionnelle
doit être reconnue et prise au sérieux. Elle ne saurait cependant tenir
lieu, à elle seule, de norme déterminante. B6 : Le discernement communautaire La
"méthode d'examen" que les Réformateurs ont mis en avant pour
justifier leur résistance à l'autorité
magistérielle de l'Eglise catholique romaine, a pu dégénérer en
"libre examen", c'est-à-dire dans une philosophie selon
laquelle l'accent n'était plus sur la primauté des Ecritures, mais sur
celle de la conscience individuelle. L'individualisme
des "Lumières" (XVIIIe siècle) a en effet favorisé un indépendantisme
dont on a dit ultérieurement qu'il était la marque du protestantisme.
L'histoire a montré vers quels naufrages cet esprit a pu conduire les
Eglises : schismes à répétition dans un premier temps, puis abandon délibéré
de l'unité doctrinale dans le pluralisme ensuite. Dans
l'interprétation de la Bible, nous avons bien trop souvent oublié la
dimension communautaire ou ecclésiale. Or le Nouveau Testament souligne
fréquemment que c'est dans la communauté que l'on arrive à connaître
Dieu en Christ - là où tous les croyants ensemble expérimentent la plénitude
de l'amour et de la puissance du Christ. Depuis Calvin, la tradition réformée
inclut cet accent sur la catholicité de la vérité. Ecouter les voix des
frères et des soeurs, des pères et des mères, et respecter l'avis, la
compréhension et même la réprimande des autres membres du corps des
croyants est une base essentielle de la manière Réformée de lire et de
comprendre la Parole de Dieu, et de discerner sa volonté. C'est sous
cette condition, entre autres, que l'Eglise peut exercer son rôle
maternel (Galates 4/26) et être pour le monde "colonne et soutien de
la vérité" (1 Timothée 3/15). Cet
accent devrait servir d'antidote à l'individualisme comme au
subjectivisme, au libéralisme comme à l'illuminisme, et contribuer ainsi
à maintenir la foi de l'Eglise et des croyants sur le fondement solide
des Saintes Ecritures. B7 : Bible et piété personnelle
Ce
qui vient d'être dit est valable tant pour l'Eglise et ses enseignants
que pour les croyants en particulier. Ces derniers retireront de ces
principes une saine pratique des Ecritures qui les fera avancer vers plus
de connaissance et plus de maturité chrétienne. Il
est vrai cependant que nos questionnements personnels ne se rattachent pas
toujours de manière directe et évidente à des enseignements explicites
de la Bible, mais celle-ci nous fournit des principes généraux à
appliquer à ces situations particulières. Ainsi, dans le dialogue avec
Dieu, par la prière, la méditation et l'accompagnement de l'Eglise, le
croyant peut être éclairé sur ces interrogations.
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