Fiche n° 9
“ Les bases théologiques qui définissent notre
identité et qui nous rassemblent ”
LA CÈNE
sacrement pour la
foi
Toutes les Eglises chrétiennes, avec des
formes et des rythmes différents, célèbrent le repas du Seigneur en réponse à
son commandement. Mais le poids de sens
donné à ce sacrement n’est pas le même pour tous. La compréhension réformée de
la cène propose une vision qui respecte l’équilibre entre le mystère de
l’action souveraine de Dieu et la nécessaire foi des communiants.
I. Le repas des pèlerins
Si le baptême marque l'entrée des individus dans l'alliance de
grâce (cf. fiche n° 8), la cène est le sacrement qui accompagne et
fortifie les membres de la communauté chrétienne tout au long de leur marche
ici-bas. C'est le Christ qui les a institués avant de retourner vers son Père
(Matt 28.18-20, Marc 14.22-25, 1 Cor 11.23-26), c'est à lui qu'ils renvoient et
c'est en lui qu'ils trouveront leur plein accomplissement quand il reviendra
dans sa gloire. En conclusion de la première cène, Jésus indique à ses
disciples que ce sacrement leur est donnée pour la période intermédiaire qui
durera jusqu'au festin des noces de l’Agneau : “ Je ne boirai plus
désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec
vous dans le royaume de mon Père ” (Matt 26.29).
Le cadre du repas n'est pas fortuit. Il s'agit, au départ, de
celui de la Pâque juive (Ex 12) ; Jésus s'identifie ainsi au Libérateur promis
et attendu. L'arrière-plan des repas de communion pris à la suite des
sacrifices (Mal 1.7,12, 1 Cor 10.4-7,
18-21) n'est pas non plus à négliger. Certaines
expressions dans les récits d'institution présentent le Christ comme
accomplissant, par son sacrifice unique et parfait, ce qui était préfiguré là :
mon corps donné pour vous... mon sang répandu pour vous
(Luc 22.19-20). Dans l’Ancien Testament, le sang versé renvoie au type d’alliance le plus contraignant. De plus, le caractère concret des éléments matériels et
le réalisme étonnant de certaines paroles du Seigneur indiquent, par analogie,
notre besoin vital de nourriture spirituelle. Depuis le soir du Jeudi Saint
jusqu'au banquet céleste à venir, la Cène a cette fonction avec la Parole :
“ Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et je
le ressusciterai au dernier jour ” (Jean 6.54).
II. La présence en question
Certaines Eglises insistent surtout sur la dimension horizontale
de la cène. Elle est une sorte d’aide-mémoire précieux par rapport au sacrifice
de Jésus sur la croix, ainsi qu'un lieu de communion et de proclamation de la
foi : vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne (1 Cor
11.26). Pour d'autres (catholicisme, orthodoxie), le sacrifice de Jésus n'est
pas seulement rappelé, il est également renouvelé ou réactualisé sur l'autel : Prenez,
mangez. Ceci est mon corps (Matt 26.26).
La théologie réformée estime que ces citations de la Bible ne
permettent ni de justifier ni d'opposer ces deux visions qui sont à la fois
complémentaires l'une envers l'autre et partielles par rapport à l'ensemble des
données bibliques sur le sujet.
En réduisant la cène à un lieu d'engagement des chrétiens par le
moyen du souvenir, le premier point de vue ne va pas au bout du sens des textes
bibliques. L'expression en mémoire de (Luc 22.19, 1 Cor 11.24s) ne
peut être limitée à un simple exercice pieux et intellectuel, comme quand on
fait mémoire d’un principe important ou d'un défunt notoire. Le concept
biblique de mémorial est plus riche que cela. Lorsque Dieu “ se souvient ”, cela
signifie qu'il agit dans le temps présent conformément à ses anciennes
promesses. Ainsi lorsqu'il donne aux hommes un signe par lequel ils feront
mémoire de l’œuvre accomplie pour leur salut, cela veut dire que Dieu lui-même
entend bien “ se souvenir ” et bénir en conséquence les participants
à ce mémorial. Appliqué à la cène, ce concept souligne que si nous
annonçons la mort du Seigneur qui a eu lieu une fois pour toutes, c'est avec le
Christ vivant et régnant à la droite de Dieu que nous sommes mis en communion
par le Saint-Esprit.
Le second point de vue recourt à des données extra-bibliques pour
tenter d'expliquer ce qui nous échappe : le comment de la présence du Christ.
Si l'expression ceci est mon corps suggère bien que la cène n'est pas un
simple rappel, elle n'implique ni un changement de la substance du pain et du
vin, ni une présence du Seigneur automatique et indépendante de la foi des
fidèles[1]. Calvin utilise trois adjectifs pour
préciser le sens de cette présence : réelle, spirituelle et conditionnelle.
1° Réellement présent
Bien que mystérieuse, la présence du Seigneur est premièrement réelle.
Davantage qu'un rappel de l’œuvre du Christ sur la croix, la cène est communion
actuelle au Seigneur qui était mort et que voici vivant aux siècles des
siècles (Apoc 1.18). Il n'est pas question d'une communion à son sacrifice
qui serait rendu présent lors de chaque célébration eucharistique, mais d'une
communication - terme cher aux Réformateurs – des bienfaits du sacrifice de
Jésus qui siège auprès du Père comme la victime expiatoire pour nos péchés
(1 Jean 2.2). Cela était préfiguré dans les repas de communion sous l’Ancienne
Alliance : ils étaient communion des vivants aux bienfaits des sacrifices
offerts ! Cette réalité se rattache à la promesse de la présence du Christ aux
côtés des siens jusqu'à la fin du monde (Matt 28.20). Elle trouve une première
application dans la prière en groupe (Matt 18.19-20) et une seconde dans
l'eucharistie[2]. La particularité de cette dernière tient
au fait que toute la communauté locale est rassemblée pour ce repas de
communion : “ La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle
pas la communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas la
communion au corps du Christ ? ” (1 Cor 10.16)
2° Christ se donne par l'Esprit
La présence du Christ à la cène est deuxièmement spirituelle,
car seul le Saint-Esprit peut nous mettre en relation avec le Seigneur. Si le
Christ, en tant que Médiateur, est le seul lieu de rencontre entre Dieu et les
hommes, c’est le Saint-Esprit qui opère le lien de cette communication entre le
croyant qui réside ici-bas et Jésus qui demeure au ciel. Il nous communique les
bienfaits que le Christ-Médiateur nous a acquis dans son corps, son humanité,
et par son sacrifice. Le croyant est alors non pas divinisé mais humanisé à
l'image de Jésus. Si le Saint-Esprit est le lien de cette conjonction, il ne
faut donc pas s'arrêter aux espèces matérielles du pain et du vin pour y
trouver le Seigneur qui réside, en fait, dans les lieux célestes. La prise en
compte de la position occupée par le Seigneur depuis l’Ascension est
éclairante. On peut donc parler de la présence du Christ comme d'une
“ réalité spirituelle ” qui nous permet de vivre une
“ spiritualité réelle ” en respectant à la fois les limites de notre
humanité et l'action du Saint-Esprit. Aux disciples déboussolés par ses paroles
sur le pain de vie (manger ma chair, boire mon sang), Jésus précise :
“ C'est l'Esprit qui vivifie. La chair ne sert de rien. Les paroles que
je vous ai dites sont Esprit et vie ” (Jean 6.63).
Cette référence constante à l'Esprit comme agent de liaison entre
Dieu et son peuple permet d'éviter toute déviation magique de la cène sans pour
autant l'amputer de sa spécificité et de sa substance.
3° Christ est reçu par la foi
Il faut ajouter troisièmement que la présence du Christ est conditionnelle
et non automatique. Il faut la foi – que Calvin appelle “ la bouche de
l'âme ” – pour avoir communion à son corps et à son sang. Celle ou celui
qui s'approche de la table du Seigneur sans ce discernement de la foi n'obtient
qu'un morceau de pain et une gorgée de vin. La possibilité de recevoir le corps
et le sang du Christ sans y ajouter la foi est étrangère à la pensée réformée –
et biblique, croyons-nous. En revanche, le fait de participer à ce saint repas
avec désinvolture entraîne un jugement, comme sur tout autre forme
d'incrédulité ou d'impiété : “ Car celui qui mange et boit sans
discerner le corps (du Seigneur), mange et boit un jugement contre
lui-même ” (1 Cor 11.29).
A propos de cette délicate question du mode de présence du Christ
à la cène, la théologie réformée nous semble apporter une réponse fidèle et
équilibrée. Fidèle parce qu'elle tient compte des multiples paramètres
bibliques, et équilibrée dans ce sens qu'elle présente à la fois l'action
souveraine – et efficace – de Dieu et la nécessité pour l'homme de mettre sa
foi en œuvre. Ainsi, en reconnaissant la présence réelle mais spirituelle du
Christ à la cène, et en rappelant la nécessité de la foi pour en recevoir les
bienfaits, nous tenons l'essentiel.
III. Dérives et enjeux
Oubli de l’essentiel
1° Il y a tout d’abord la dérive minimaliste qui réduit la
cène à un acte essentiellement centré sur les croyants, au détriment de
l’action mystérieuse et souveraine de Dieu par son Esprit. Elle se limite alors
à un rappel et une annonce de l’œuvre du Christ sur la croix censée fortifier
la communion des fidèles entre eux. Une conception fréquente dans le monde
évangélique. La vision réformée rappelle le caractère essentiel et premier de
la présence réelle du Christ par son Esprit.
2° Il y a ensuite la dérive maximaliste qui accorde au
sacrement une efficacité telle que la foi des individus n’est guère prise en
compte et que la présence du Christ est “ chosifiée ”. Une conception
présente dans les confessions catholique et orthodoxe. La théologie réformée
rappelle que la présence du Christ, si elle est bien réelle, est aussi
spirituelle et se reçoit dans la foi.
3° Il y a enfin le risque d’une foi et d’une piété par trop cérébrale,
oublieuse des
dimensions corporelle et symbolique. Si le Seigneur, à côté de son
enseignement, a pris la peine d'instituer la cène, mémorial avec une gestuelle,
comme moyen de grâce, nous serions bien imprudents d’en négliger l’importance. La vision réformée fondamentale est de
ne pas séparer la prédication, “ Parole audible ”, de la cène, “
Parole visible ”, dans le culte. La prédication fonde la cène en nous
conduisant vers le Christ ; la cène apporte confirmation de l’œuvre de la grâce
et nous invite à la recevoir de façon conséquente.
IV. CONSIDERATIONS PRATIQUES
1° Faut-il être baptisé pour prendre la cène ?
Le baptême étant le sacrement qui marque l’entrée dans l’alliance,
il précède logiquement le repas de communion entre les membres et le Seigneur
de l’alliance. Cette logique a toujours été appliquée par les Eglises
chrétiennes. Un problème nécessitant un accompagnement pastoral spécifique se
pose néanmoins avec la présence dans nos Eglises de fidèles qui n’ont pas
encore été baptisés et qui souhaitent participer à la cène.
2° Les enfants peuvent-ils communier ?
Il faut le signe de l’alliance pour prendre la cène, mais ce n’est
pas suffisant. Le discernement de ces réalités spirituelles (1 Cor 11.28s) est
également nécessaire. Cela implique une certaine maturité et un enseignement
clair. Dans nos Eglises, l’accueil à la cène a habituellement lieu au terme de
l’instruction religieuse, mais une réflexion tenant davantage compte du
cheminement de chacun en vue d’un accueil plus personnalisé à la cène, plus tôt
ou plus tard qu’à l’âge traditionnel, peut s’avérer profitable.
3° Dimension pastorale
Le sacrement de la cène étant un temps fort de confirmation de
l’œuvre de Dieu et de notre désir de lui être agréables, individuellement et en
communauté, il permet tout un accompagnement spirituel consistant à relever, à
encourager, à faire réfléchir, bref à veiller fraternellement les uns sur les
autres dans notre marche à la suite du Christ. C’est un des rôles dévolu
particulièrement au pasteur et aux anciens.
La pratique sporadique constatée dans plusieurs de nos Eglises et
la fâcheuse tendance à l'auto-excommunication de certains fidèles méritent
qu’on ne perde pas de vue le but de l’appel au discernement lancé par Paul qui
n’est pas de nous décourager mais au contraire de nous rendre conscients de
notre besoin de recevoir la vie du Christ en nous : “ que chacun donc
s’examine soi-même, et qu’ainsi il mange du pain et boive de la
coupe ” (1 Cor 11.28). Si la cène est appel à la sainteté, ce n’est
que dans la conscience de notre indignité et du pardon renouvelé offert en
Christ à quiconque s’approche de lui avec foi et humilité.
4° Dimension diaconale
La situation rencontrée par Paul à Corinthe indique que la cène ne
peut être disjointe d’une éthique de fraternité et de solidarité. Dans la
communauté qui est le Corps du Christ en un lieu donné, il ne peut subsister côte à côte des
personnes dans le besoin et d’autres qui baignent dans une abondance méprisante
(I Cor 11.17-22, 33s). Le repas du Seigneur doit nous conduire à devenir
meilleurs dans l’amour mutuel ; c’est ainsi que nous sommes vraiment ses
disciples (Jean 13.35 ; Act 2.42-47).
A propos de la cène, Calvin
disait : “ Elle subvient à notre indigence spirituelle, elle nous conduit
à l'adoration et elle nous exhorte à vivre saintement car elle est centrée sur
le Christ ”.
“ Nos
âmes peuvent recevoir de ce sacrement une grande douceur et un grand fruit de
confiance, car par lui, nous savons que Jésus-Christ est tellement incorporé en
nous, et nous en lui, que nous pouvons appeler nôtre tout ce qui lui
appartient, et appeler sien tout ce qui est à nous. C’est pourquoi nous osons
promettre avec assurance que la vie éternelle est à nous et que le royaume des
cieux nous appartient tout comme à Jésus-Christ lui-même ; et que d’autre
part nous ne pouvons pas être condamnés plus que lui par nos péchés, puisqu’il
nous en a délivrés en les prenant sur lui comme s’ils avaient été les siens.
Tel est l’échange admirable que dans sa bonté infinie il a voulu faire avec
nous. En recevant notre pauvreté, il nous a transféré ses richesses ; en
prenant sur lui nos faiblesses, il nous a fortifiés de sa puissance ; en
revêtant notre mortalité, il nous a transféré son immortalité ; en
recevant le fardeau des iniquités qui nous accablaient, il nous a ouvert le
chemin du ciel ; en se faisant fils d’homme, il nous a faits enfants de
Dieu. ” (Jean Calvin, Institution
Chrétienne, Livre IV, chap. 17, § 2 )
GLOSSAIRE
Sacrement : Ce terme, via le latin, traduit le mot grec qui a donné mystère ; il rappelle que l'action de l'Esprit est insondable. Dans nos Eglises, on retient comme sacrements le baptême et la cène car :
- ils ont été institués par un ordre du Christ pour toute l'Eglise ;
- ils renvoient à l’œuvre du salut en Christ et
- ils sont des signes visibles (utilisant des supports matériels) d'une grâce invisible.
Termes
fréquemment utilisés
Cène : terme général tiré du latin repas du soir souvent précédé de sainte, vu sa particularité.
Eucharistie : Aux XVIe et XVIIe siècles, les
théologiens réformés utilisaient fréquemment ce terme qui signifie action de
grâces pour désigner la cène, car
Jésus rend grâces au moment d’instituer ce repas.
Table
et repas du Seigneur soulignent
l’arrière-plan du repas de la Pâque.
Communion met l’accent sur le fait d’être reliés au
Christ et les uns aux autres lors de la cène.
Mode
de présence du Christ
Transsubstantiation : interprétation qui a fini par s’imposer
au Moyen-Age dans le catholicisme, selon laquelle la “ substance ”
même du corps du Christ remplace celle du pain et du vin lors de la
consécration des espèces.
Consubstantiation : interprétation luthérienne qui postule
que la “ substance ” du corps du Christ est présente avec celle des
espèces matérielles sans les annuler ; dans, avec, sous se plaisait
à répéter Luther.
Point de vue réformé : la présence réelle du Christ se fait par l’Esprit et se reçoit dans la foi. Calvin n’entre pas du tout dans ce débat sur la substance. C’est la fonction des espèces qui change !