Fiche n° 6
“ Les bases théologiques qui définissent notre
identité et qui nous rassemblent ”
EVANGÉLISATION
ET SOUVERAINETÉ DE
DIEU
L'affirmation de la souveraineté de Dieu nuit-elle à
une pleine reconnaissance de la responsabilité humaine et conduit-elle à une
passivité coupable devant la mission d'évangéliser ?
Nous
croyons, au contraire, que cette foi en la souveraineté de Dieu, loin de
neutraliser l'évangélisation, est le ressort qui nous permet d'agir avec
persévérance et constance sans nous laisser décourager par des contretemps
passagers.
La
foi en la souveraineté de Dieu donne aux chrétiens la puissance dont ils ont
besoin pour accomplir l'ordre évangélique d'aller et de proclamer la Bonne
Nouvelle à toutes les nations[1].
Annoncer
l'Evangile n'est pas simplement communiquer une information, même si cela en
fait partie. C'est aussi chercher à persuader, adresser un appel qui demande
une réponse. Comme un ambassadeur, le messager de l'Evangile a reçu un mandat
(2 Cor 5.19,20).
Ainsi,
toujours et partout les chrétiens sont soumis à l'ordre d'évangéliser (Matt
28.19,20). Cependant, il est vrai que le sujet de l'évangélisation continue à
susciter beaucoup de discussions. Nous voulons ici placer le débat au niveau
des facteurs spirituels qui sous-tendent l'évangélisation afin de dissiper
quelques difficultés et d'affirmer nos propres convictions. Ainsi nous nous
efforcerons de clarifier les relations entre trois réalités : la souveraineté
de Dieu, la responsabilité de l'homme et le devoir évangélique du témoignage
chrétien.
1. La souveraineté de Dieu dans le salut
“ Ce
n'est pas vous qui m'avez choisi, mais moi, je vous ai choisis et je vous ai
établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit
demeure…” (Jean 15.16).
L'Ecriture
martèle l'affirmation de la souveraineté de Dieu sur le monde qu'il a créé. Il
est le Seigneur ; il fait ce qu'il veut de l'argile qu'il pétrit. Tous les
êtres sont à son égard dans une dépendance totale : “ Tout est de lui, par
lui, pour lui ”, et “ il opère tout selon le conseil de sa volonté ”
(Eph 1.11 ; Rom 11.36).
Sans
pour autant tomber dans le déterminisme, la Bible souligne que le vouloir de
Dieu s'organise selon un plan établi (Ps 139.16). Dans le Nouveau Testament,
Jésus rappelle que la souveraineté de Dieu s'exerce jusque dans le moindre
événement : “ même les cheveux de votre tête sont tous comptés ” (Matt
10.29,30).
Comme
l'écrit un théologien : “ Nulle part l'Ecriture ne suggère que le dessein de
Dieu laisserait le détail indéterminé ”[2].
Lorsque
dans la prière nous adressons nos demandes à Dieu, c'est bien que nous
reconnaissons en lui l'auteur et la source de toutes choses. Quand l'homme est
à genoux, il réalise qu'il ne contrôle pas le monde et il comprend qu'il n'est
pas en son pouvoir de subvenir à ses besoins par ses propres efforts.
En
matière de salut, Dieu est aussi souverain : c'est lui, le Père céleste qui
fait venir au Christ (Jean 6.37, 44, 65) ; qui donne la repentance (Act 11.18 ;
2 Tim 2.25) ; qui produit le vouloir et le faire pour la mise en pratique de sa
volonté (Phil 2.13), et qui garde le croyant jusqu'au jour de Christ (Phil
1.6).
Ainsi,
tout chrétien remercie Dieu spontanément pour sa conversion parce qu'au fond de
son cœur il sait que le Seigneur est l'artisan de sa conversion. Pareillement,
lorsque nous prions pour la conversion des autres, nous avons le sentiment que
c'est bien du ressort de Dieu de les amener à la foi. L'homme ne peut se sauver
lui-même ; c'est Dieu qui le sauve.
2. La souveraineté de Dieu et la responsabilité de
l'homme
Ainsi
rien n'arrive sans Dieu, cependant il donne de la valeur au “ oui ” que l'homme
choisit de lui dire.
“ S'il
est certain que seule la grâce opère la conversion, il est également certain
que l'homme doit se convertir pour être sauvé, que Dieu veut sa foi, non comme
cause première, mais comme moyen de sa justification ”[3]. L'apparente contradiction entre la souveraineté de
Dieu et la responsabilité de l'homme s'éclaire en considérant ce que Dieu fait
en tant que Roi, et ce qu'il fait en tant que Juge.
En
tant que Roi, Dieu dirige et gouverne toutes choses, entre autres les actions
des hommes, selon son propre dessein éternel (cf. Prov 20.24 ; 21.1).
En
tant que Juge, Dieu tient chaque homme responsable de ses choix et de ses
actions (Rom 2.1-6 ; Apoc 20.11-13 ; Matt 25.31-46).
Ceux
auxquels le message de l'Evangile est annoncé sont donc responsables de leur
réaction à ce message ; s'ils le rejettent, ils sont coupables d'incrédulité.
“ Celui
qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru ” (Jean 3.18).
Parfois, dans le même verset, la Bible souligne ces deux aspects relatifs à la
souveraineté de Dieu et à la responsabilité de l'homme : “ le Fils de
l'homme s'en va (à la mort) selon ce qui est déterminé. Mais malheur à
l'homme par qui il est livré ” (Luc 22.22)[4].
L'enseignement
biblique nous conduit à maintenir ensemble ces deux réalités :
- l'homme est tenu pour responsable
de ses actes ;
- toute action humaine reste sous la
dépendance du gouvernement souverain de Dieu.
Gardons-nous
de minimiser l'une de ces affirmations par rapport à l'autre ![5]
3. Pour une Eglise missionnaire
Tous
les enfants de Dieu ont reçu mission d'évangéliser. Le chrétien est envoyé dans
le monde comme messager de Dieu et ambassadeur de Christ. Il est appelé à faire
connaître au plus grand nombre le message qui lui a été confié.
·
C'est son devoir : -
parce que Dieu le demande (Matt 28.20,21 ; Act. 1.8)
-
parce que l'amour pour le prochain l'exige (2 Cor 5.14)
·
C'est son privilège : - parce
que c'est une chose merveilleuse que d'être un
messager de Dieu et d'apporter aux hommes le remède, le seul, qui puisse les
sauver (Rom 10.14-15).
Ici,
l'affirmation de la souveraineté de Dieu en matière du salut nous gardera du
découragement. “ Au lieu de rendre l'évangélisation inutile, la grâce
souveraine de Dieu est justement ce qui, seul, l'empêche d'être inefficace.
C'est elle qui nous donne la certitude de voir nos efforts d'évangélisation
porter du fruit ”[6].
En
effet l'homme déchu, nous dit l'apôtre Paul, est aveuglé à tel point qu'il lui
est impossible de comprendre les vérités d'ordre spirituel. Il méprise
l'autorité de Dieu et se moque de sa loi (1 Cor 2.14 ; 2 Cor 4.4 ; Eph 2.2
; Rom 8.7). Tel est l'homme irrégénéré.
Devant
un tel constat, la tentation est grande pour le chrétien de baisser les bras.
Mais celui qui croit en la souveraineté de Dieu sur toutes choses agira avec
persévérance et fidélité, attendant que Dieu se manifeste :
- Dieu ne fait-il pas ce que les hommes sont
incapables de faire ? (Matt 19.26)
- Par son Esprit et au travers de sa Parole, Dieu
n'accomplit-il pas son œuvre dans les cœurs des hommes pécheurs pour les amener
à la repentance et à la foi ? (Phil 1.29 ; Eph 2.8).
“ Notre
évangélisation n'est que l'instrument que Dieu utilise à cette fin (le salut
des hommes), mais la puissance n'est pas dans l'instrument : elle est dans la
main de celui qui s'en sert ”[7].
Forts
de cette certitude, nous proclamerons avec fidélité et persévérance cet
Evangile de la croix, puissance de Dieu pour le salut de ceux qui croient (Rom
1.16 ; 1 Cor. 1.18).
Dérives et enjeu
Nous soulignons en terminant deux écueils à éviter
dans le domaine de l'évangélisation : la passivité et l'activisme.
·
La passivité : perçue de manière fataliste, la doctrine de la
souveraineté de Dieu peut conduire certains à oublier que Dieu veut les
utiliser pour amener les hommes à la connaissance du salut en Christ.
Les conséquences sont un certain laisser aller,
l'absence de témoignage et le refus d'aller au devant des autres.
·
L'activisme : à l'inverse, l'oubli de la souveraineté de Dieu
conduit certains chrétiens à trop miser sur leurs propres capacités et sur les
techniques employées.
Les conséquences sont la précipitation dans le
témoignage, l'orgueil spirituel quand le succès est là, l'utilisation de
méthodes d'évangélisation artificielles ou douteuses pour atteindre les
objectifs fixés, le découragement si les résultats escomptés tardent à se
réaliser.
L'enjeu est de taille : la foi en la souveraineté de
Dieu n'est pas une discussion vaine. Bien comprise, elle donne aux chrétiens
des forces nouvelles pour évangéliser avec persévérance et constance. Ils
peuvent témoigner avec zèle, en public et en privé, ainsi que prier avec
humilité et ferveur pour que la bénédiction de Dieu accompagne leurs efforts.
“ Ainsi, dit le Seigneur, en est-il de ma Parole :
Elle ne retourne pas à moi sans effet,
Sans avoir exécuté ma volonté
Et accompli avec succès ce pour quoi je l'ai envoyée ”. (Es 55.11)
[1] On lira avec profit l'ouvrage de J. I. PACKER “ L'Evangélisation et la souveraineté de Dieu ” ; Ed. Grâce et Vérité, 1978.
[2] Henri BLOCHER, Article “ Souveraineté de Dieu et Décision humaine ”. ICHTHUS 1977 ; n° 71 ; p. 6 ss.
[3] Henri BLOCHER, ibid. p.7
[4] Voir aussi Act 2.23 ; Phil 2.13
[5] On peut même se demander, déclare H. Blocher (ibid. p.9), si le verbe “ accepter ” - “ accepter Jésus-Christ comme son sauveur personnel ” - n'a pas des résonances dangereuses. D'après sa définition dans le dictionnaire, il peut convenir, mais l'auditeur moyen, en l'entendant, n'imagine-t-il pas qu'il devient l'arbitre suprême ? Le verbe “ recevoir ” n'a pas cet inconvénient, et c'est lui plutôt que l'Ecriture emploie.
[6] J. I PACKER, Op. cit p.101
[7] J. I PACKER, Op. cit p.26
Note : La
question de la souveraineté de Dieu dans le salut a suscité, dans l'histoire de
l'Eglise, de grands débats. Nous donnons ici la définition des deux principales
positions qui se sont opposées :
1. Arminianisme :
doctrine qui tient son nom de Jacques Arminius (1560-1609), professeur de
Théologie à l'Université de Leyden, aux Pays-Bas (1602-1609). Cette doctrine
accentue la notion de la volonté propre de l'homme. L'homme irrégénéré peut,
par sa propre volonté, accepter ou rejeter le salut que Dieu lui offre et les
ouvertures de conviction de péché du Saint-Esprit. Il peut perdre son salut
éternel.
2. Calvinisme : doctrine du réformateur Jean Calvin (1509-1564). Cette doctrine, qui fut exposée avant Calvin par St. Augustin, comprend et souligne les vérités de la dépravation et de la corruption totale de l'homme irrégénéré, et la souveraineté de Dieu en toutes choses, y compris le salut des hommes.