Fiche n° 4

 

“ Les bases théologiques qui définissent notre identité et qui nous rassemblent ”

 


DE LA CHUTE AU JUGEMENT :

LE PÉCHÉ ET SES CONSÉQUENCES

 

 

Tout homme reconnaît que le monde est à la fois admirable et meurtri, de telle sorte que le bonheur et la  tristesse, le mal et  le bien,  la lumière et  les ténèbres, la vie et la mort, paraissent constamment mêlés. Dans les premiers chapitres de la Genèse, mais aussi tout au long de ses  pages, la Bible relie cet état de fait à deux événements distincts : la Création et la Chute. La compréhension juste de l’état actuel du monde et de la condition humaine, tout  comme la  compréhension juste de l’Evangile du salut sont impossibles sans référence à ces deux événements, deux événements pourtant si souvent relativisés, quand ils ne sont pas tout simplement niés.

 

 

1. La Création n’est pas la Chute

 

“ Nous croyons que l’homme a été créé pur, sans la moindre tâche, et conforme à l’image de Dieu. ” (Confession de La Rochelle art. 9)

 

“ Dieu a-t-il créé l’homme si méchant et pervers ? Non, au contraire… ” (Catéchisme de Heidelberg, question 6)

 

Tout en s’inscrivant dans la matière, l’espace et le temps, l’acte créateur de Dieu ne peut être en aucun cas assimilé à la Chute. Si la condition actuelle de l’homme est en même temps celle d’un être créé et celle d’un être déchu, ces deux états sont distincts l’un de l’autre.

 

La Création est bonne, et même très bonne (Gen 1.31) ; même abîmée, la Création rend témoignage à la grandeur et à la perfection de Dieu (Ps 19.2-7; Rom 1.20) ; l’homme demeure une créature merveilleuse (Ps 139.14).

 

Il y a dérive quand la Création est confondue avec la Chute

 

Certains théologiens affirment que le mal fait partie d’une création que Dieu a voulue imparfaite, inachevée. Certains vont jusqu’à dire que Dieu lui-même participe à cette faiblesse et à ce devenir. Dieu n’est plus regardé comme saint, ni comme tout-puissant. L’espérance est perçue au travers de la foi en l’homme, au travers du mythe du progrès.

 

Deux autres conséquences peuvent résulter de cette confusion : le mépris de la Création, du corps, ou inversement leur divinisation...

 

Implications

 

Notre regard sur la Création doit être :

          - intelligent et émerveillé en ce qu’il discerne “ les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité ” (Rom 1.20).

          - reconnaissant de ce que Dieu maintient le monde en mouvement et le préserve malgré la corruption (Gen 8.22 ; Act 14.17 ; Hébr 1.3).

          - compatissant et respectueux, à cause de la souffrance à laquelle la Création tout entière est soumise (Rom 8.19-22 ; Apoc 11.18).

          - responsable, puisque, dans le cadre de limites à reconnaître, le mandat confié à l’homme de “gérer la terre” demeure (Gen 1.28). (cf. fiche n° 3)

 

 

2. La Chute n’est pas un mythe

 

“ Comme par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul, beaucoup seront rendus justes. ”     (Rom 5.19)

 

S’il y a un réalisme biblique, c’est bien dans l’affirmation de la Chute et de ses conséquences. La Bible n’apporte pas, sur les circonstances de cette cassure, toutes les réponses aux questions que nous nous posons. Mais les éléments qu’elle donne permettent d’affirmer qu’un événement s’est produit, auquel Dieu apportera réponse par un autre événement, lui aussi historique - et pas seulement symbolique : le don de Jésus-Christ, sa mort expiatoire, sa résurrection corporelle, son ascension, son retour glorieux.

 

Il y a dérive quand la Chute est considérée comme un mythe

 

Le mal devient alors une réalité relative, subjective ou sociale. Quand la Chute est niée, l’Evangile perd sa radicalité pour devenir un message “idéal” de générosité et d’effort. Son centre, la mort expiatoire de Christ, perd alors toute sa signification historique et sa nécessité. Jésus devient un simple modèle. Le salut devient alors une expérience qui peut se vivre en dehors de toute référence claire à Jésus-Christ, et sans perspective de résurrection d’entre les morts et de vie éternelle.

 

Implications

 

Le message unique de l’Evangile (Gal 1.6-9), la médiation unique, nécessaire et suffisante de Jésus-Christ, et enfin le Jugement dernier (Act 17.31) sont la réponse de Dieu, dans l’histoire, à la rupture survenue en Eden (Rom 5.18-21).

 

 

3. L’homme a péché volontairement

 

“ Séduits par l’astuce de Satan et ayant succombé à la tentation, nos premiers parents ont péché en mangeant le fruit défendu. ” (Confession de Westminster, VI,1)

 

“ Adam et Eve, sans aucune contrainte, transgressèrent délibérément... la loi du Créateur et l’ordre qu’ils avaient reçu. ” (Confession Réformée Baptiste, 6.1)

 

Deux applications doivent être retenues principalement :

          - la désobéissance est à l’instigation d’un autre (Gen 3.1-5 ; Matt 4.8-11)

          - cependant, il y a (eu) transgression par une désobéissance volontaire, et donc pleine responsabilité (de l’homme, de la femme, et de leur descendance) (Jér 2.4-9 ; Rom 1.18-32).

 

Il y a dérive quand on considère que l’homme pèche malgré lui

 

Si la transgression volontaire est niée, l’homme n’est plus considéré comme responsable, mais seulement ou principalement comme victime. Il pèche par imitation ou par obligation ; les autres, la société sont coupables ; ou Dieu...

 

L’existence de Satan est niée : celui-ci n’est qu’une personnification du mal.

 

L’Evangile libère, ici, dans le seul objectif de l’épanouissement de l’individu …

 

Implications

 

Si l’homme est aveuglé, c’est la conséquence de son endurcissement (Rom 1.21-25 ; Eph 4.18). Tout homme est, à des degrés divers, coupable et victime du mal, et c’est ainsi qu’il doit être considéré. Sa volonté est engagée dans le péché ; c’est pourquoi, la repentance doit être un acte volontaire (Matt 3.6 ; Act 2.38). L’appel à la repentance accompagne donc la proclamation de l’Evangile. (Ezék 18.21, 30-32 ; Act 26.20).

 

Satan n’est pas toujours la cause directe du mal. Il n’y est cependant jamais étranger, cherchant à rendre les hommes captifs (Act 26.17-18 ; 2 Cor 4.3-4). Il serait tout aussi faux d’en faire le seul acteur que de nier les ruses et le pouvoir qu’il exerce (1 Tim 1.20 ; 2.26 ; Jacq 4.7 ; 1 Pi 5.8-9 ; 1 Jean 5.19).

 

 

4. Le péché pervertit l’homme totalement

 

“ L’homme (s’est) séparé de Dieu qui est la source de toute justice et de tous biens, au point que sa nature est désormais entièrement corrompue. Nous croyons que l’homme, étant aveuglé,... a perdu toute intégrité, sans en avoir aucun reste. ” (Confession de La Rochelle, article 9)

 

“ Il reste en l’homme quelque lumière de nature, une certaine connaissance de Dieu, du bien et du mal,... mais pas à salut, pas même à justice. ” (Les Canons de Dordrecht, 3.4)

 

Les Réformateurs ont appelé “serf-arbitre” le fait que l’homme soit devenu esclave du péché et incapable par lui-même de s’en affranchir. Autant il importe de distinguer création originelle et corruption, autant il importe d’affirmer l’étendue de la corruption à toute la création (Gen 3.17 ; Rom 8.19-22) à tous les hommes (Rom 3.9 ; 5.12), à tout l’homme (Gen 6.5 ; 8.21 ; Ps 51.7).

 

La Formule de Concorde (luthérienne) s’exprime ainsi : “ Le péché originel, loin d’être une corruption superficielle, est une corruption si profonde de la nature humaine qu’il ne subsiste rien de sain. ” (article I.8)

 

Il y a dérive quand on affirme que le péché ne pervertit pas l’homme totalement

 

Il y a une vision optimiste qui reconnaît que l’homme a des faiblesses à côté de ses qualités, et qui voit l’Evangile comme un idéal, une émulation pour maîtriser les faiblesses et encourager les penchants naturellement positifs. Deux dérives sont repérables :

          - le synergisme, qui attribue à l’homme une part de mérite dans l’œuvre du salut.

          - le perfectionnisme qui oublie que les effets du péché demeurent après la régénération. “ Cette corruption de nature demeure en ceux qui sont régénérés ”, dit le Catéchisme de Westminster.

 

Implications

 

La Chute n’introduit pas seulement un amoindrissement mais une mort (Eph 2.1). “ Le péché a pour conséquence le péché, écrit Henri Blocher, mais aussi d’autres retentissements : la culpabilité du pécheur, la mort spirituelle, la mort corporelle, la mort éternelle. ” (Eph 2.1). Ce constat ôte à l’homme tout droit devant Dieu, ainsi que toute participation méritoire à l’œuvre du salut (Rom 5.6). Il rend nécessaire la révélation infaillible de Dieu et la foi dans cette révélation comme seul moyen de parvenir à une juste connaissance (Jean 1.12-13 ; 17.3 ; Rom 4.20-22 ; 2 Tim 3.16 ; 2 Pi 1.20-21 ; Hébr 11.1-2, 6).

 

 

5. Dieu restreint les conséquences de la chute

 

“ Nous devons nous rappeler ici que dans la corruption universelle, la grâce commune de Dieu intervient, non pour purifier la perversité de la nature, mais pour restreindre ses effets, de l’intérieur... Dieu, dans sa providence, contient la perversité de notre nature pour l’empêcher de se déchaîner extérieurement en actes, mais il ne la purifie pas du dedans. ” (Jean Calvin Institution Chrétienne, II, 3, 3)

 

Pour considérable qu’elle soit, l’étendue des conséquences de la Chute n’est pas sans limites, de par la miséricorde de Dieu (Ex 34.5-7). La condamnation consécutive au péché est accompagnée d’une promesse (Gen 3.15 ; 9.8-13), d’une protection (3.21 ; 4.15). Malgré l’injustice et la méchanceté des hommes, la bonté de Dieu se manifeste avec éclat (Ps 33.5 ; Mtt 5.45 ; Act 14.16-17).

 

Il y a dérive quand Dieu est regardé comme absent

 

Un double risque apparaît :

          - un pessimisme ingrat, qui refuse de reconnaître les signes pourtant abondants de la grâce de Dieu (Matt 5.45 ; Act 14.17), et qui regarde le monde comme abandonné, livré à l’homme et au mal. Le pouvoir de Satan est exagéré.

          - un optimisme aveugle qui considère comme naturel que le monde subsiste avec ses richesses, par lui-même, et qui attribue à la nature ou aux hommes les bienfaits dont nous jouissons. Le pouvoir de Satan est minimisé.

Implications

 

Selon la grâce générale (Gen 8.20-22 ; Act 14.16-17) mais aussi selon son dessein de salut, Dieu use de patience envers les hommes (Ex 34.6 ; 2 Pi 3.8-15) : loin de conduire à la passivité    (Rom 2.4), cette patience est porteuse d’appel. Pour les chrétiens, elle doit produire un zèle renouvelé pour la sanctification, pour le témoignage et l’engagement dans la société (Jér 29.7 ;   1 Thess 4.3-8 ; 1 Pi 2.12 ). (cf. fiche n°3). Dieu est patient, mais il y a urgence et le péril est grand pour celui qui s’endurcit. Toute la dynamique de la reconnaissance, de l’exhortation dans l’Eglise, du combat spirituel, de la proclamation au-dehors trouve ici sa source.

 

 

6. Tout péché encourt un jugement

 

“ Dieu veut-il laisser impuni … ? Pas du tout. ” (Catéchisme de Heidelberg, question 10)

 

L’amour infini de Dieu n’abolit cependant pas sa sainteté. “ Le salaire du péché, c’est la mort ” (Ezék 18.4 ; Rom 6.23), cette loi est incontournable. Dieu prend patience, mais “ sa colère se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes ” (Rom 1.18 ; Hébr 10.30-31). A la croix, ce jugement et cette condamnation sont portés par un autre, Jésus-Christ (Es 53.5 ; 1 Pi 2.24). La justice de Dieu est satisfaite (Rom 3.25-26), le Prince de ce monde est jugé (Jean 16.11 ; Col 2.14-15). La seigneurie de Christ sera rendue manifeste pour tous (Phil 2.9-11; Apoc 5.13-14).

 

Des incrédules, qui persistent dans l’impénitence, il est écrit qu’ils sont déjà jugés (Jean 3.18-20), même si demeure, pour eux, l’attente du Jugement dernier et d’un châtiment éternel (Jean 5.29 ; Act 10.42 ; 17.30-31 ; 2 Thess 1.6-9 ; Hébr 4.13 ; 9.27).

 

Ceux qui sont en Christ “ ne viennent pas en jugement ” (Jean 3.18 ; 5.24). Pour eux, le salut est acquis. Ils comparaîtront cependant “ devant le tribunal de Christ ” (Rom 14.10 ; 2 Cor 5.10) ; là, leurs œuvres seront examinées (1 Cor 3.12-15).

 

Il y a dérive quand on considère que l’amour exclut tout jugement

 

Puisqu’il est demandé aux hommes de ne pas juger, Dieu agirait de même, lui qui est “ tout amour, et rien qu’amour. ” (J. Duquesne).

 

En terme d’espérance, cette pensée s’accommode volontiers de l’universalisme qui affirme que tous les hommes seront sauvés.

 

En terme de pédagogie, l’accent est mis sur la souffrance de l’individu, et sur son “droit” à être accepté tel qu’il est. Toute intervention corrective ou punitive est considérée comme suspecte, tant au niveau de la famille que de la société.

 

Implications

 

Le jugement de Dieu s’exerce de plusieurs manières, toujours pédagogiques (Eccl 7.14 ; Lam 3.37-41; Hébr 12.5-11) :

          - dans les consciences troublées (Rom 2.14-16 – “ Toute âme troublée est à soi-même son propre châtiment. ” St Augustin) ;

          - dans les effets naturels de la loi divine contrariée (Rom 1.26-27) ;

          - par le moyen des autorités humaines instituées par Dieu au sein de la famille (Eph 6.1-3 ) ou au sein de l’Etat (Rom 13.1-7 ; 1 Pi 2.13-17).

 

Le péché dans la vie du chrétien n’a pas les mêmes conséquences que dans la vie de l’homme irrégénéré. Dans un cas comme dans l’autre cependant, ses conséquences sont importantes, ce qui nécessite parfois d’avertir ou, dans certains cas, d’user de discipline (Jon 3.3-4 ; Matt 18.6-9,      15-17 ; Eph 4.25-31 ; Hébr 12.7-11 ; Jacq 5.19-20).

 

L’avertissement et la discipline peuvent et doivent se pratiquer dans l’amour (2 Tim 2.25 ; 4.2), dans la perspective de la grâce (Hébr 12.12-15 ; Jacq 5.19-20). C’est, dans l’Eglise, toute l’importance de la tâche pastorale confiée aux pasteurs et aux anciens.