Fiche n° 2
“ Les bases théologiques qui définissent notre
identité et qui nous rassemblent ”
ANCIENNE ET NOUVELLE
ALLIANCES
Que la Bible soit constituée d'un “ Ancien ”
et d'un “ Nouveau ” Testament,
voilà qui ne surprendra personne ! Tout chrétien sait cela depuis le
temps de sa première instruction dans la foi. Cependant, le rapport entre ces
deux “ testaments ” ou “ alliances ”[1] n'est pas toujours abordé selon le même point de vue
au sein de la chrétienté. Or, se rattachent à cette réflexion des questions
essentielles comme celles-ci :
-
l'Ancien Testament est-il vraiment Parole de Dieu pour nous ? Nous parle-t-il
encore, et comment ?
- la
grâce en Jésus-Christ a-t-elle supplanté la Loi de Moïse ?
-
l'Eglise actuelle est-elle une création nouvelle ou s'inscrit-elle en
continuité avec l'assemblée des fils d'Israël ?
Une vision globale
Sans
la moindre hésitation, la Réforme a reçu la Bible comme un tout, comme une
seule et même Parole de Dieu. L'unité et l'autorité de la Bible, tout entière
Parole de Dieu parce que tout entière révélation pleine et suffisante de son œuvre
créatrice et rédemptrice, sont confessées de manière massive au XVIe
siècle. La confession de foi de La Rochelle confirme cette position, notamment
en son article 3 où après avoir affirmé que “ Toute l'Ecriture Sainte est
contenue dans les livres canoniques de l'Ancien et du Nouveau Testament ”,
elle donne la liste complète des 66 livres.
A
cette reconnaissance de l'unité formelle de la Bible s'ajoute, chez les
Réformateurs, une méthode d'interprétation qui met en évidence l'unité du
message : Ancien et Nouveau Testaments sont réunis dans une grande fresque où
chaque élément, chaque détail prend du sens pour aujourd'hui. C'est là,
assurément, un fort héritage de notre tradition réformée.
Et pourtant, une ligne de partage
Cette
affirmation ne doit toutefois pas nous amener à conclure rapidement qu'il
n'existe aucune différence entre les deux dispensations, celle de l'ancienne et
celle de la nouvelle alliance. En effet, à la charnière entre les deux se
trouvent deux événements historiques qui vont enrichir le rapport de tous les
croyants avec Dieu, ouvrir de nouvelles perspectives eschatologiques, et poser
les bases d'un nouveau service de Dieu. Ces deux événements sont :
- d'une part la venue du Christ,
Jésus ;
- d'autre part le don du Saint-Esprit, lors de la
Pentecôte.
Il
y a donc eu un temps, un moment (kairos) où le Royaume de Dieu s'est
approché des hommes (Marc 1.15), où la Parole a été faite chair (Jean 1.14), où
les prophéties messianiques se sont accomplies (Act 10.43). Les premiers versets
de l'Epître aux Hébreux sont à cet égard explicites : “ après avoir
autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a
parlé par le Fils en ces jours qui sont les derniers. ”
Le
deuxième événement, inséparable du premier, est l'envoi du Paraclet,
c'est-à-dire du Saint-Esprit. La Pentecôte se situe après l'Ascension : le
Saint-Esprit est donné par le Père et par le Fils (filioque) parce que
le monde ne voit plus le Fils (Jean 14.19). Il est donné entre autres pour
rappeler et rendre toujours présent l'enseignement du Fils (Jean 14.26).
Deux conséquences majeures
:
a. Le temps de l'accomplissement
La
venue du Christ et le don du Saint-Esprit constituent donc une ligne de partage
entre ce qui a été et ce qui est désormais. La nouveauté se situe d'abord dans
l'accomplissement du dessein rédempteur de Dieu. Ainsi, l'histoire se divise en
deux parties. Il y a bien une ancienne et une nouvelle alliance, et par
conséquent des rites différents, des formes de piété diverses et même des
prédications spécifiques. Si les prophètes de l'Ancien Testament rappellent
sans cesse les exigences de la loi et s'ils prêchent l'obéissance, ils le font
en suscitant l'espérance et l'attente du Jour du Seigneur. De même, ils
prédisent le temps où le Saint-Esprit, déjà présent en Israël, se manifestera
avec plénitude (Joël 3.1-5 ; Ezék 36.26-27 ; Jér 31.33-34). Quant aux prophètes
du Nouveau Testament, ils axent l'Evangile sur un fait déjà réalisé (Act
2.22-36) : que tous sachent avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ
ce Jésus qui a été crucifié et qui est ressuscité le troisième jour.
b. Le temps des païens
Une
autre différence importante apparaît : il s'agit de l'élargissement du peuple
de Dieu. “ Désormais, écrit Calvin, les païens sont élevés au
même degré d'honneur que les Juifs ”, selon l'enseignement donné par
l'apôtre Paul à l'Eglise d'Ephèse (2.11-18). Le mur de séparation qui séparait
les circoncis et les incirconcis est abattu. “ Les uns et les autres ont
également accès auprès du Père dans un même Esprit ” (verset 18). Cette
ouverture de l'Eglise constitue, sans aucun doute, la grande nouveauté du temps
inauguré par le Christ dans sa passion et par sa résurrection.
Dérives
:
Il serait erroné de conclure que nous sommes
maintenant entrés dans une ère totalement différente de celle qui l'a précédée,
comme si l'Ancien Testament n'offrait plus qu'un intérêt historique, révélateur
de la façon utilisée par Dieu pour progressivement indiquer son dessein et
laisser entrevoir ce que sera le temps messianique. A cet égard,
l'interprétation “ dispensationaliste ” de l'Ecriture force encore le
trait. Fondée par John Darby (1800-1882), ce système divise l'histoire sainte
en sept périodes quasiment étanches, ayant chacune un rapport spécifique avec
Dieu.
Notre lecture de l'Evangile va dans une autre
direction. Avec Calvin, nous croyons que “ l'alliance faite avec les
pères anciens, en sa substance et vérité, est si semblable à la nôtre qu'on
peut dire qu'elle est une avec elle ”. Il n'y a donc qu'une seule
alliance où le double événement de la croix et de la Pentecôte marque un
temps ancien et un temps nouveau. Le moment est venu de donner quelques
indications sur ce qui constitue l'unité de l'alliance.
Le fondement historique de l'alliance éternelle
Tout
repose sur l'élection d'Abraham. C'est à lui et à sa postérité que Dieu a fait
des promesses et adressé une vocation : “ être une source de bénédiction pour
les nations de la terre ”. L'alliance conclue avec Abraham et sa descendance
ouvre un temps de bénédiction qui contient en germe tous les développements
ultérieurs jusqu'à l'édification finale de la “ nouvelle Jérusalem ”
qu'entrevoyait déjà le père des croyants (Hébr 11.10). Cette alliance est, dès
son établissement, un acte de pure bonté du Dieu souverain envers une humanité
toujours captive de la désobéissance en Adam. Il s'agit donc d'une alliance de
grâce.
En
ce qui concerne la loi qu'Israël a reçue des mains de Moïse, il convient de
souligner à la suite de l'apôtre Paul, qu'elle a été donnée quelques quatre
cent trente ans plus tard sans mettre en question la promesse fondatrice. La
loi n'a pas été donnée contre les promesses (Gal 3.17-21). Il n'y a pas dans
l'Ancien Testament, d'une part le temps de la grâce (d'Abraham à Moïse) et
d'autre part le temps de la loi (depuis Moïse). Il n'y a pas une alliance
“ mosaïque ” qui succéderait à l'alliance “ abrahamique ”,
mais une seule et même alliance de bénédiction au sein de laquelle Dieu, peu à
peu, révèle sa volonté. La loi exprime les exigences du Seigneur et met en
évidence les conditions de vie de celui qui est dans l'alliance.
De
même lorsque nous considérons le message biblique dans sa totalité, l' “
autrefois ” - le temps de l'Ancienne Alliance - n'est donc pas celui de la loi,
et l'“ aujourd'hui ”, celui de la grâce et de la liberté d'agir selon ses
propres désirs. La loi, dans un temps comme dans un autre est toujours
“ sainte, juste et bonne ” (Rom 7.12). Son rôle seul est à préciser.
Les trois usages de la loi de Dieu
En
premier lieu, la loi sert de révélateur de l'état de péché dans lequel se
trouve l'humanité. Face aux exigences de la sainteté (pensons par exemple au
“ sermon sur la montagne ”), plus aucune autojustification n'est
possible. Dans le grand procès entre Dieu et les hommes, la loi vient me
convaincre de culpabilité, et ce faisant me pousse à recourir à la grâce
manifestée en Jésus-Christ (Rom 3.19-24).
Son
second rôle est de nature sociale. La publication de la loi de Dieu, rejoignant
en l'homme les aspirations profondes de sa nature créée (Rom 2.14-15), fait
peser sur les consciences le sentiment d'un devoir moral. Quand celui-ci est,
de plus, soutenu par des promesses de récompenses ou par la menace de sanctions
en cas de désobéissance, un climat social plus favorable se met en place, les
effets dévastateurs du péché sont limités (1 Tim 1.8-10, 2.1-2 ; Rom 13.3-5).
“ Cette justice contrainte et forcée est nécessaire à la communauté des
hommes ” dit avec réalisme Jean Calvin. (Institution Chrétienne, livre II,
chap.7, § 10)
Enfin,
la troisième fonction concerne la sanctification du chrétien. Certes, celle-ci
est avant tout l'œuvre de l'Esprit-Saint (Ezék 36.27), cependant la
responsabilité de la personne n'est pas pour autant écartée. Or cette dernière,
pour pouvoir s'exercer, a besoin de normes et de repères donnés par Dieu. La
loi, expression de la volonté bonne de Dieu, balise alors le chemin de la
sanctification comme le font des panneaux indicateurs (2 Tim 3.16-17 ; Ps
1.1-3). De plus, la loi écrite contient les exhortations nécessaires pour que
l'invocation de notre liberté en Christ ne devienne pas un prétexte pour
laisser libre cours à la “ chair ” (Gal 5.13-14 ; Ps 119.11).
Remarque :
Le mot “ loi ” recouvre, dans l'Ancien comme
dans le Nouveau Testament, des réalités sensiblement différentes. La loi sainte
et invariable est celle qui reflète directement les attributs moraux de Dieu
(Lév 19.2). Elle s'adresse à chaque personne avec la force d'un absolu ; elle
n'est soumise à aucune casuistique. Les lois sociales, coutumières ou
religieuses n'ont pas cette même invariance ; elles peuvent être conditionnées
dans leur stricte application par les temps et les lieux (ainsi en est-il par
exemple des lois sacrificielles de l'Ancien Testament). Cependant la lecture
réformée de l'Ecriture nous conduit à découvrir la sagesse de Dieu, les
enseignements spirituels ou les applications contemporaines de chaque
ordonnance divine (ainsi en est-il par exemple du baptême qui est une reprise
de la circoncision dans le contexte de la nouvelle alliance).
La permanence de la justification par la foi
Loin
d'être absente de l'Ancienne Alliance, la justification par la foi y est enseignée
comme étant la seule voie de salut. Le chapitre 11 de la lettre aux Hébreux
nous présente en effet une quantité de personnages de l'Ancien Testament qui
tous ont été approuvés ou bénis par Dieu à cause de leur foi. Précisons que la
foi n'est pas présentée dans l'Ecriture comme un sentiment, un élan du cœur,
une émotion ou une expérience plus ou moins mystique. C'est tout simplement
l'adhésion à la Parole dite par Dieu ; c'est avoir la conviction que l'Evangile
“ d'autrefois ” et de “ maintenant ” est la vérité. Abraham a cru que Dieu
ne lui disait pas un mensonge, c'est pourquoi il a obéi. L'essentiel n'est pas
d'avoir une foi pour notre bien-être, mais d'avoir une foi juste qui adhère à
la doctrine de Dieu. Il suffit de relire l'admirable chapitre 4 de l'Epître aux
Romains pour s'en convaincre : “ Face à la promesse de Dieu (Abraham) ne
douta pas par incrédulité, mais fortifié par la foi, il donna gloire à Dieu ”
(verset 20).
Hier comme aujourd'hui : du collectif à l'individuel
Certains
pensent que “ la grande différence entre les deux dispensations est que sous
l'ancienne Alliance, Israël est en bloc le peuple de Dieu, au bénéfice des
promesses et des privilèges donnés à ce peuple. Sous la Nouvelle Alliance, le
peuple se recrute un à un ” (A. Kuen). Mais en est-il bien ainsi ?
En
réalité, le fait que la promesse soit adressée à Abraham et à sa postérité ne
dispensait personne d'une prise de position personnelle. Aucun Israélite
n'était sauvé en tant que tel. Certes Israël est globalement “ peuple de Dieu ”
mais quant à la Rédemption il n'existe pas d'automatisme lié à une appartenance
collective. Le texte inspiré dit bien : “ On fera mourir chacun pour son
péché ” (Deut 24.16 ; Jér 31.30), ou encore “ Circoncisez votre
cœur ” (Deut 10.16 ; 30.6 ; Lév 26.41 , Jér 4.4).
Il
en est de même dans la nouvelle alliance. La promesse est pour les croyants et
leurs enfants (Act 2.39), mais comme
l'écrit Calvin, ceux qui “ profitent ” des bienfaits de l'alliance ne sont pas
déchargés de leur responsabilité par rapport à l'Evangile qui leur est annoncé.
Chacun est appelé à confesser personnellement sa conviction intime et à vivre
selon l'espérance enracinée au plus profond de lui-même. C'est la raison pour
laquelle si les signes d'incorporation à la communauté ecclésiale diffèrent -
la circoncision d'une part, le baptême d'autre part - ils ont en revanche le
même contenu : “ Les anciens sacrements des Juifs ont tendu à une même fin
et à un même but que font aussi maintenant les nôtres, c'est-à-dire d'envoyer
et de conduire à Jésus-Christ, ou plutôt, comme des images, de le présenter et
donner à connaître ” (Calvin).
En définitive, l'unité du message biblique repose sur
l'unité de l'alliance
S'il
est manifeste que l'interprétation de la Bible doit tenir compte de ce qui
détermine un “ autrefois ” et un “ maintenant ”, il n'est pas inutile
d'affirmer qu'il n'y a ultimement qu'une seule alliance et en conséquence une
seule Eglise. Celle-ci poursuit sa vocation de toujours : être source de
bénédiction pour les nations et faire apparaître sur cette terre les signes de
la cité céleste préparée par Dieu.
“
L'alliance que Dieu fait avec son peuple n'est pas limitée aux choses
terrestres, mais a aussi compris les promesses certaines de la vie spirituelle
et éternelle (... ) car
Jésus-Christ ne promet point aujourd'hui d'autre Royaume des cieux à ses
fidèles que celui dans lequel ils reposeront avec Abraham, Isaac et Jacob (Matt
8.11) ” (Calvin, Institution Chrétienne, livre 2, chapitre
10, § 23).
Remarque
:
On a souvent entendu dire, et même enseigné dans
certains catéchismes, que l'Eglise était née à la Pentecôte. Il est vrai que
Jésus lui-même avait annoncé qu'il bâtirait son Eglise (Matt 16.18). Mais
lorsque Jésus utilise le mot “ Eglise ” (ecclésia), il n'est pas en
train de créer un néologisme pour désigner une réalité qui n'aurait pas existé
jusque-là. Ses auditeurs étaient bien à même de comprendre ce qu'il disait car
le mot ecclésia figure de nombreuses fois dans la traduction grecque de
l'Ancien Testament en usage à leur époque. L'ecclésia, c'est tout simplement
“ l'assemblée ”, et en contexte religieux “ l'assemblée appelée
ou convoquée par Dieu ”. Ce que Jésus veut dire c'est que l'ecclésia de
Dieu se rassemblera désormais autour de lui ; il est le nouveau temple (Jean
2.19-21), il en est la pierre d'angle (Matt 21.42-44).
[1] Le mot “ testament ” est une autre traduction du mot grec diathèquè que l'on peut rendre également par “ pacte ” ou “ alliance ”.