Février 2007

Méditation biblique

Juges 6, Jean 4 et Hébreux 11. 24-27
Le poltron et la " basareto "

En regardant à Gédéon, " chrétien traditionnel " et à la Samaritaine, " marginale excitée ", apparaît combien l’appel du Seigneur peut transformer chacun en témoin de sa grâce : un sens nouveau qui renouvelle l’existence et le quotidien est donné dans le respect du parcours et de la personnalité de chacun.

Dieu nous surprend toujours dans sa manière de conduire les choses comme les gens ; Dieu est surprenant en appelant Gédéon et la Samaritaine comme témoins de sa grâce : bien malin celui qui saurait découvrir dans l’appel de Dieu un critère de sélection !
Ainsi, Gédéon n’a vraiment rien pour plaire !
Son statut social n’est guère enviable : sa parenté est la plus pauvre de Manassé et il est lui-même le plus petit dans la maison de son père. Sa situation est précaire : il bat le blé pour le cacher des pillards madianites. Et puis, ce n’est pas une forte personnalité, loin s’en faut ! c’est quelqu’un qui est habité par la peur : peur somme toute légitime des pillards mais aussi, son histoire le montre, peur du lendemain, peur des responsabilités et, quelque part, peur de Dieu en qui il a tant de mal à faire confiance.
Gédéon, c’est quelqu’un qui aura toujours besoin d’être rassuré.
Déjà, dès son premier dialogue avec le Seigneur, la crainte est là : " donne-moi un signe que c’est toi qui me parles… ", et malgré le signe époustouflant du sacrifice qui se consume, Gédéon exécutera sa mission de nuit car, nous est-il dit, " il craignait la maison de son père et les gens de la ville. " Et puis, vous le savez, Gédéon demandera encore deux fois confirmation de sa mission avec le double et fameux miracle de la toison de mouton : une fois la toison mouillée par la rosée avec les champs autour qui restent sec et puis l’inverse !
Alors, voilà ! Gédéon, c’est un pauvre agriculteur sans histoire et sans envergure, c’est un petit bonhomme anonyme sans atout, qui a la peur au ventre… et c’est lui que le Seigneur choisit pour sauver son peuple !
Et que dire de notre Samaritaine ?

Dieu surprenant !

A l’encontre de Gédéon, on peut dire qu’on a là une forte personnalité : une femme indépendante au tempérament bien trempé, quelqu’un qui semble ne craindre personne et en tout cas pas le regard des " gens bien pensants " ! Et puis, si Gédéon n’avait rien pour plaire, il semble qu’il en soit tout autrement avec la Samaritaine ! Séduisante et peut-être séductrice, elle collectionne les conquêtes : maris et concubins.
Voilà quelqu’un qui semble bien dans sa peau, une personne bien différente de notre petit Gédéon inhibé…
Mais quand même, c’est aussi quelqu’un qui est dans une situation délicate : c’est une étrangère mise sur la touche par " les gens bien ", elle est montrée du doigt à cause de sa spiritualité bizarre et de sa vie amoureuse plutôt tumultueuse. Et voilà que le Seigneur la choisit comme témoin !
Oui, Dieu est surprenant dans ses choix !

Et c’est vraiment bien qu’il en soit ainsi ! Avec le Seigneur, autant de témoins autant de parcours.
Voilà de quoi nous garder des stéréotypes, des jugements tout fait et souvent si vite faits… comme s’il fallait que tous les témoins de Jésus-Christ soient tombés dans la même marmite quand ils étaient petits ! Avec le Seigneur, c’est bien plus beau que cela : les témoins de Jésus-Christ ne sont pas des clones, chacun devient témoin selon son propre parcours. Et si cette vérité est un appel à l’humilité, c’est aussi un extraordinaire encouragement : au-delà des circonstances de ma vie, au-delà de ma personnalité, ce qui compte, ce qui pèse, ce qui a le dernier mot, c’est l’appel du Seigneur sur ma vie !

Ainsi, Gédéon aura longtemps été dans le peuple de l’alliance sans s’engager vraiment pour le Seigneur ; et sa foi tient plutôt de la perplexité et du doute que de la confiance : " Si l’Eternel est avec nous, dit-il, pourquoi cela nous arrive-t-il ? Où sont tous les miracles d’autrefois ? "
Gédéon, c’est un peu le type de ces gens d’Eglise qui ont une certaine foi en Dieu mais qui, en fait, n’ont pas vraiment une relation vivante de profonde confiance avec Lui : ces croyants qui en restent à ce qu’ils ont toujours connu et qui semblent tellement imperméables à un événement venu de Dieu ; ces chrétiens parfois engagés dans les activités de l’Eglise mais dont la foi transforme si peu le quotidien et dont finalement l’épreuve dira bien vite le peu d’attache à leur Dieu.
La Samaritaine, elle, c’est plutôt le type de la génération Nouvel Age : une spiritualité qui s’est bricolée en fonction des circonstances comme de ses propres aspirations et le tout accompagné d’une éthique de vie à la carte. Bref, c’est quelqu’un qui dirige sa vie au radar de l’affectivité, quelqu’un qui semble si loin de pouvoir être touchée par la grâce et de pouvoir saisir les implications de la foi dans sa vie.
Et pourtant, Dieu appelle la Samaritaine, cette femme marginale dont la foi est si peu éclairée et Gédéon, ce chrétien traditionnel dont la foi est bien fragile ; il les appelle à être ses ambassadeurs !

Et dès lors, le parallèle entre ces deux histoires bien différentes devient tout à fait saisissant.
C’est, dans les deux cas, au travers d’une rencontre personnelle et d’un dialogue animé que va naître le témoin ; que l’un et l’autre vont vivre la réalité d’un engagement au service du Seigneur.
Dans les deux cas, c’est d’abord le Seigneur qui s’approche, c’est lui qui a l’initiative de la rencontre, c’est lui qui va chercher son témoin et, dès le début de cette rencontre, c’est son amour qui se dit : cet amour se dit en offrant une identité nouvelle à son interlocuteur dont il connaît, bien évidemment, tous les manquements et toutes les faiblesses.
Avez-vous remarqué comment est appelé Gédéon, ce petit bonhomme insignifiant et peureux ?
Le Seigneur s’adresse à lui en l’appelant " vaillant héros " ! Franchement, il y aurait de quoi rire si ce regard porté sur Gédéon n’était la juste anticipation de ce qui va advenir par la grâce du Seigneur.
Il nous faut là bien entendre que c’est Dieu et Dieu seul qui façonne son témoin, cette belle formule qui encourage nous y aidera : " Dieu n’appelle pas toujours les plus qualifiés, mais il qualifie à coup sûr les appelés ".

Irrévocable et valorisant appel

Et cette approche valorisante du Seigneur envers Gédéon, nous la retrouvons avec la Samaritaine.
Jésus-Christ, celui qui est l’Eau vive désaltérant toutes les soifs d’absolu s’approche de la Samaritaine comme l’étranger assoiffé qui a besoin d’elle. Et du coup, la Samaritaine n’est plus celle que la religion majoritaire condamne mais bien plutôt celle qui peut faire du bien, même à un religieux ! C’est le début d’un processus de transformation que le Seigneur va mener à son terme avec toute sa bonté, son écoute, sa patience…
Ainsi, le Seigneur va laisser Gédéon dire ses doutes et lui demander moult signes de confirmation, il va lui laisser le temps de s’ouvrir à la confiance, l’occasion de croire la parole de Dieu. Le Seigneur laisse cheminer Gédéon à son rythme, il lui donne le temps et les moyens pour répondre à l’appel, pour accepter sa mission. Au fond, ce qui lui est donné c’est la possibilité de devenir ce que le Seigneur veut qu’il soit.
Et le dialogue de Jésus avec la volubile Samaritaine (dans le Midi, on dirait que c’est une " basareto "), eh bien ce dialogue-là est aussi empreint de patience pour l’aider à cheminer vers la vérité, à confesser Jésus comme le Christ et à voir aussi sa vie transformée.
Montée sur ressort dans son dialogue avec Jésus (comme dans ses choix de vie !) notre " basareto " ne fait ni une ni deux et va d’emblée partager sa découverte : " Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait, ne serait-ce pas le Christ ? "
Ainsi, vous le voyez, ce qui va qualifier chacun pour sa mission de témoin, c’est d’abord la rencontre avec le Seigneur où tout l’être et toute l’existence de Gédéon et de la Samaritaine sont impliqués ; et puis, c’est le temps du dialogue où s’expriment toutes les questions, les incompréhensions et les aspirations de chacun mais où, aussi, les réponses patientes et adaptées sont entendues.
Et ici, comment ne pas penser à la prière où se disent et se résolvent nos interrogations, nos atermoiements et nos attentes. Oui, ces face-à-face avec le Seigneur vont établir ou rétablir une relation de confiance et permettre, pour chacun, la réalisation du projet de Dieu ; et cela, à l’instar de Moïse qui, nous dit la lettre aux Hébreux, " a tenu ferme, comme voyant Celui qui est invisible. "

Ainsi, mes amis, nous nous trompons profondément (et d’ailleurs plus ou moins consciemment) en refusant notre mission de témoin sous prétexte de manquements ou de faiblesses. Nous savons que Moïse était bègue et que Dieu a voulu utiliser pour sa gloire un petit paysan avec la peur au ventre et une " basareto " excitée !
Cela nous dit encore une vérité d’importance : lorsque le Seigneur nous appelle, ce n’est pas pour nous métamorphoser en témoins idéaux ! Moïse est resté bègue, Gédéon peureux et vraisemblablement notre Samaritaine n’est pas devenue timide !
Le Seigneur agit autrement : il va nous transformer intérieurement, nous façonner, nous renouveler, nous consacrer afin que, malgré nos insuffisances et parfois même nos handicaps, malgré nos réticences et parfois même nos révoltes, nous puissions malgré tout devenir ses témoins. Ainsi de Gédéon : " Va avec cette force que tu as, n’est-ce pas moi qui t’envoie ? Je serai avec toi. "
Gédéon n’était guère convaincu d’être le vaillant héros que le Seigneur appelait ; et qui aurait pensé que cette marginale " basareto " puisse un jour évangéliser ses contemporains et qu’à peine ouverte à la foi, elle en amène plusieurs à Jésus ?
Mais voilà, - avec ce que nous sommes… et ce que nous ne sommes pas ! – nous sommes appelés, chacun, à répondre à notre vocation de témoin, à laisser Dieu agir en nous et autour de nous.
Ainsi, que nous soyons plutôt des insignifiants et craintifs Gédéon, lents à nous mettre en route, versatiles, hésitants, méfiants… ou de performantes et volubiles Samaritaines, le Seigneur nous appelle à son service : Va avec la force que tu as, c’est Lui qui t’envoie !

Annie Bergèse
pasteur à Lambesc