Spiritualité

Prier les psaumes
La prière inspirée

Chacun sait l'importance accordée par les Réformés aux psaumes bibliques : priés, chantés, médités, enseignés, ils contribuèrent à la diffusion de la Réforme. Un héritage à retrouver pour nourrir sa foi en communion avec l'Eglise universelle.

Les Psaumes ont constitué le recueil de prière et de cantiques de la communauté juive : par la suite, ils ont été adoptés par l'Eglise de tous les temps. Depuis trois mille ans, les croyants trouvent dans ces paroles bibliques, la formulation de leurs louanges, de leur reconnaissance envers Dieu, mais aussi de " toutes les douleurs, tristesses, craintes, doutes, espérances, solitudes, perplexités voire jusqu’aux émotions confuses dont les esprits des hommes ont accoutumé d’être agités. " (Calvin) Ceux qui ne savent que dire à Dieu dans leurs prières trouvent dans ce recueil la réponse divinement inspirée à leur perplexité. Il y a, certes, beaucoup d’autres prières dans la Bible, mais elles sont dispersées sur l’ensemble des livres et souvent elles correspondent seulement à une situation bien particulière. Ici, chaque chapitre est une prière, et chacune d’elles peut, sous certaines conditions, être reprise par tout croyant.

Au fil de l'histoire

Tout au long de l’histoire de l’Eglise, la récitation et le chant des psaumes ont constitué une partie essentielle du culte. Les premiers chrétiens ont suivi l’exemple de leur Maître. L’apôtre Paul recommande de s’entretenir par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels (Ephésiens 5.19 cf. Colossiens 3.16). C’est la première manifestation de la plénitude du Saint-Esprit. " Dans la prière liturgique, dit Gélineau, dans tous les rites et de tous les temps, les psaumes occupent une place de premier plan. Dans le rite romain, ils constituent aujourd’hui la part la plus considérable de l’Office divin, et il n’est point de messe qui ne fasse appel au chant de plusieurs psaumes. On ne peut s’associer à la prière publique de l’Eglise sans chanter des psaumes " (cf. Préface au Psautier).

Dans l’Eglise ancienne, on chantait toujours un psaume entier après la lecture d’un passage tiré d’une épître. Au Moyen Age, le Psautier était la seule partie de l’Ecriture laissée à la disposition des fidèles (Décret du Concile de Toulouse, 1229).

Les Réformateurs ont aboli la messe, mais ils n’ont pas banni pour autant les psaumes de leur culte. Au contraire, ces derniers deviendront les seuls cantiques des Réformés, jusqu’au XIXe siècle. Ils ont constitué un élément important dans la diffusion de la Réforme. A la cour du roi, chacun avait son psaume ; on raconte comment une ville entière fut amenée à adopter la Réforme par suite du chant d’un psaume. Lorsque les Camisards entonnaient le psaume des batailles, l’ennemi s’enfuyait, il craignait les chants des Réformés plus que leurs mousquets. Encore aujourd’hui, le psautier reste le livre le plus lu et le plus répandu de tout l’Ancien Testament, le seul qui soit parfois joint au Nouveau Testament. C’est aussi celui dont il existe le plus de traductions. (Pour Louanges pour notre temps, j’en ai utilisé 66 sans vouloir être exhaustif).

D’où vient cette prédilection pour les psaumes ?

Serait-ce simple fidélité à une tradition universelle et ininterrompue, demande Gélineau ? Serait-elle due à la valeur poétique et religieuse exceptionnelle de ces poèmes ? Certes, ces raisons ont leur valeur, mais elles n’expliquent et ne justifient pas la place toute particulière des psaumes dans la piété de tous les chrétiens. En réalité, continue Gélineau, si l’Eglise a toujours donné aux psaumes un rang à part parmi toutes les prières, c’est qu’ils sont une Ecriture inspirée de Dieu ".
C’est ce qui justifie encore pour nous aujourd’hui la place qui leur est faite - ou devrait l’être - dans notre prière personnelle et communautaire. Nos prières liturgiques sont belles, elles ont souvent été composées dans des moments marquants de l’Histoire par d’authentiques hommes de Dieu, et on ne les valorise pas suffisamment dans les milieux évangéliques. Nos prières libres ont toute leur valeur, et il serait dommage d’y renoncer car elles constituent notre particularité d’ " évangélique ", elles sont l’expression d’une foi personnelle et authentique. Mais,pour les psaumes, nous pouvons être assurés qu’ils ont été composés directement sous l’inspiration du Saint-Esprit. C’est " animé par l’Esprit-Saint que, selon le témoignage de Jésus, David a parlé. " (Marc 12.36).
Or l’apôtre Jean nous assure que " si nous demandons quelque chose selon sa volonté, il nous écoute. Et si nous savons qu’il nous écoute, quoi que ce soit que nous demandions, nous savons que nous possédons ce que nous lui avons demandé " (1 Jean 5.14-15). Si nous prions les paroles divinement inspirées des psaumes, nous pouvons être sûrs que nos demandes sont conformes à la volonté de Dieu et nous pouvons saisir leur exaucement par la foi. " Ici, disait Luther, le Saint Esprit vient à notre aide, nous dicte les paroles qu’il nous faut prononcer, et la manière en laquelle il convient par ce moyen de nous adresser à Dieu … " Le psautier est, comme l’a dit A. Chouraqui, " davantage qu’un livre, un être vivant qui parle – qui vous parle – qui souffre, qui gémit et qui meurt, qui ressuscite et chante, au seuil de l’éternité – et vous prend, et vous emporte, vous et les siècles des siècles, du commencement à la fin … " (Les Psaumes, Paris 1956).

Dans Prier les Psaumes, A. George adopte pour chaque psaume une triple perspective : la prière de l’Ancien Testament, la prière de Jésus, notre prière. Pour certains psaumes ou, dans d’autres, pour une grande partie du psaume, nous n’avons aucune peine à nous assimiler au psalmiste dans sa prière. En étudiant de plus près sa situation historique, nous nous sentirons encore plus proche de lui et nous entrerons mieux dans l’esprit de sa louange ou de sa requête.

Avec Jésus et son peuple

Puis, il y a ces prières des psaumes que nos lèvres ne peuvent pas dire, qui nous choquent ou nous épouvantent, comme le dit D. Bonhoeffer dans son ouvrage De la vie communautaire. Elles " nous font pressentir, continue-t-il, qu’ici un Autre que nous prie, et que celui qui peut ainsi proclamer son innocence, appeler le jugement de Dieu et descendre dans un tel abîme de douleur c’est Jésus-Christ lui-même … Celui duquel aucune détresse, aucune maladie, aucune souffrance n’est étrangère, et qui pourtant était le Juste et l’Innocent par excellence. Le recueil des psaumes est le livre de prière de Jésus-Christ dans le sens le plus réel. C’est lui qui a prié les psaumes, et le Psautier est ainsi devenu la prière pour tous les temps. "
Ainsi en un deuxième temps, nous pouvons nous demander comment Jésus a dit les paroles du psaume, à quel moment de sa vie elles se sont appliquées tout particulièrement à sa situation, comment il a " accompli " - dans les deux sens du mot - la révélation apportée par ce psaume. Si nous prions " au nom de Jésus ", cela veut dire aussi que nous prions dans l’esprit de Jésus, avec les sentiments qui étaient en lui (Philippiens 2.5). Depuis Jésus, nous ne pouvons plus prier certains psaumes comme avant sa venue : le Psaume 22 rappellera toujours sa croix, et en lisant Psaume 58.7 ou 69.24, nous entendons toujours résonner à nos oreilles : " mais moi je vous dis : aimez vos ennemis. "  Notre prière enfin, nous l’apportons englobée pour ainsi dire dans celle de Jésus, comme Il la présente actuellement pour nous dans le sanctuaire céleste, nous sachant justes en lui, cachés en lui, vainqueurs en lui.
Dire " en lui ", c’est sous-entendre aussi : dans son Corps. Le psalmiste priait, louait, rendait grâces ou se révoltait contre le mal en communion avec le peuple de Dieu. " Répétons donc que notre prière des psaumes doit passer par la façon dont Jésus les a priés … Du moment que Jésus les a lui-même priés, … ils sont d’abord une possibilité de prier autant avec le peuple de Jésus qu’avec Jésus lui-même " (G. Arnéra, " Ichtus " 81-3). Comme le dit encore D. Bonhoeffer : " La prière des psaumes enseigne à prier en communauté. Le corps de Christ prie, et en tant qu’individu, je vois que ma prière n’est qu’un tout petit élément de l’ensemble de la prière de l’Eglise. J’apprends à prier avec le corps de Christ. "

Alfred Kuen
professeur à l'Institut biblique Emmaüs