Histoire

Du 9 septembre au 20 octobre 1625
Le siège du Mas d'Azil

Le siège du Mas d'Azil figure parmi les événements marquant de la Réforme dans le Sud-Ouest. Transportés en 1625 avec l'arrivée du Maréchal de Thémines, nous voici invités à suivre par le détail les soubresauts d'un combat acharné qui donna la victoire aux plus démunis. Pour un temps.

Le village du Mas d'Azil a plusieurs sujets de notoriété. Tout d'abord, sa grotte creusée par les eaux pendant des milliers d'années et qui permet à la rivière (l'Arize) de traverser une petite chaîne rocheuse des Pré-Pyrénées, le Planturel. Au cours de son lent travail, l'eau a creusé et aménagé de nombreuses salles dans le roc, ce qui a fait de cette grotte, au cours des siècles, un refuge périodique très utilisé à la moindre alerte.
Un autre événement marquant qui fait partie de l'histoire de la Réforme dans le Sud-Ouest est le siège du Mas d'Azil par les armées royales en septembre et octobre 1625. C'est un premier paradoxe que cette action se situe en plein exercice de l'Edit de Nantes. Pour comprendre cela, il nous faut revenir quelques siècles en arrière.

Le mas d'Azil fut fondé en 807 par l'installation d'une petite communauté de Bénédictins. Au fil des siècles, l'emprise de ces moines, s'étendit sur une grande partie de la région. Pour se protéger des rôdeurs et des pillards, ils construisirent des remparts en demi-lune appuyés à chaque extrémité sur la rivière. Le front sur la rivière était lui-même défendu par des constructions plus légères. L'autorité des Bénédictins sur la région était devenue absolue et même parfois brutale. Or, le Mas d'Azil faisait partie du comté de Foix, lui-même propriété de la cour de Navarre dominée par Jeanne d'Albret, fervente zélatrice de la Réforme.

Le comté de Foix

Avec la bénédiction de leur suzeraine et excédés par l'autorité des bénédictins, les villageois du Mas d'Azil, et de ses environs, tout acquis à la Réforme, décidèrent de chasser les moines et de démolir leurs installations (église, couvent, maison de prière). C'était en 1569. Pour illustrer le relatif confinement de l'emprise réformée, il faut noter que les Bénédictins trouvèrent refuge dans une Communauté amie à dix kilomètres à l'ouest du Mas d'Azil où ils vécurent en parfaite sécurité. D'autres villages réformés du Comté de Foix en firent autant avec leur communauté catholique.

Très vite, la situation devint bloquée, assortie d'escarmouches incessantes mais n'entraînant pas de grosses modifications sur le terrain. Puis Henri IV accéda, non sans mal, à la royauté (1589). Il promulgua l'Edit de Nantes en 1598, espérant ainsi mieux contrôler le Parti Réformé et ramener le calme.
En fait, ce traité avait un double aspect : il donnait une liberté certaine à l'établissement du culte réformé mais il stipulait aussi que les catholiques devaient pouvoir exercer librement partout et leurs communautés spoliées rentrer dans leurs possessions.
L'application de ces clauses rencontre une résistance acharnée et les progrès étaient lents et parfois nuls.
La situation, notamment au Mas d'Azil n'avait guère évolué.

Tout changea après l'assassinat du Roi (1610). Louis XIII décida de faire appliquer toutes les dispositions de l'Edit de Nantes, y compris par la force. L'inquiétude se répandit parmi les Réformés dont les forces s'allièrent avec celles du Haut-Languedoc sous le commandement du Duc de Rohan. Les années qui suivirent enregistrèrent une succession de combats locaux entrecoupées de trêves plus ou moins sincères. Et toujours l'agitation reprenait.
Louis XIII, voulant en finir, organisa une nouvelle expédition et confia le commandement du Sud-Ouest au Maréchal de Thémines. C'est ainsi qu'après plusieurs campagnes notamment dans l'Albigeois et sur l'insistance des Bénédictins, celui-ci décida de rendre à cet ordre leurs possessions du Mas d'Azil.

Ses troupes venant du Nord se heurtèrent à divers points de résistance et surtout trouvèrent aux abords du Mas d'Azil un pays dévasté par une politique volontaire de la Terre brûlée, notamment dans les villages de Sabarat et des Bordes qui devaient être les bases des troupes royales.
Il faut bien s'imaginer la position du village. Au sud, il était accolé à la chaîne du Planturel traversé par la grotte. A l'est s'étendait un espace plat mais très marécageux qui interdisant les mouvements des troupes importants. Au nord, la rivière s'échappait de ce cirque par une brèche dans des collines escarpées laissant la place à quelques sentiers de chèvres mais sûrement pas à des convois importants (artillerie, ravitaillement et même cavalerie)*. Enfin à l'ouest, sitôt la rivière traversée, s'élevait une pente escarpée, à l'époque couverte de vignes, dont la crête surplombait le village de 200 mètres environ. Au-delà, un plateau s'étendait qui, lui, permettait l'approche de l'armée royale.

Les premiers éléments légers arrivèrent sur la crête ouest le 9 septembre 1625. Le 10 ou le 11, le siège s'installe. Thémines fait aménager dans la pente un ou deux encorbellements lui permettant d'installer son artillerie. Les protestants avaient détruit le pont qui, à cent mètres en aval de la muraille nord permettait aux villageois de gagner les chemins du plateau ouest. Dès son arrivée, Themines le fit rétablir et garder pour permettre à ses troupes à pied de contrôler la façade est de la ville. Par contre, il ne put interdire le cheminement vers la grotte qui se faisait par le fond du ravin creusé par l'Arize à la sortie. Ce défilé très encaissé n'aurait pas permis l'installation d'un pont fixe sécurisé.
Pendant tous ces jours de préparation du siège, de violents tirs de mousqueterie furent échangés. L'investissement total est chose faite le 15 septembre.

Des forces disproportionnées

Thémines, sûr de lui, convoqua ses officiers pour les inviter à dîner le lendemain soir, dans la ville. En effet, les forces étaient disproportionnées. Chez les réformés, un millier d'hommes en comptant les réfugiés des villages alentour. Avec leurs familles, le village était évidemment surpeuplé. Cette garnison était commandée par Ducasse de Larbont, un officier apprécié du Duc de Rohan et son beau-frère d'Amboix. Tous deux avaient épousé les filles de François Dusson qui apparaîtra plus tard dans le siège.
En face, il y avait 14 000 hommes (y compris les services). La moitié d'entre eux, dont 600 cavaliers, étaient des " troupes réglées ", c'est-à-dire régulières et appointées par le Roi. Les autres étaient des contingents disparates fournis par les hobereaux du sud-ouest, pas forcément fanatiques, mais pressés par le Roi. Autant dire que c'était une armée difficile à commander.
L'artillerie se composait de 8 grosses pièces de 48 et 6 canons de 36. Viendront s'y ajouter 2 couleuvrines.

Le bombardement commença le 16 septembre. Dans un premier temps du 16 au 22, le village reçut 532 boulets ravageant les murailles et les maisons qui étaient touchées. Le 21 septembre était un dimanche. Aussi, le feu d'artillerie fut dirigé contre le temple où Thémines espérait atteindre les participants au culte. Mais les réformés, méfiants, avaient tenu leur assemblé dans un autre lieu du village. On peut noter que, malgré les obligations de la défense, la peur, la peine de ceux qui avaient eu des pertes, les paroissiens se sont retrouvés entre 300 et 400 pour le culte dominical (Quel exemple !!)
En même temps, Thémines avait fait creuser des tranchées menant vers la rivière à travers les vignes et aboutissant à une tranchée de départ parallèle à l'Arize, en face des défenses de la ville. Les travaux n'avançaient guère car il y eut plusieurs jours de pluie durant cette période et le sol argileux et l'inondation des ébauches de tranchées ne facilitaient pas le travail.

Les assiégés ne restaient pas passifs. D'abord tous les bras disponibles travaillaient sans relâche à remonter et réparer les défenses enfoncées par les boulets. Les matériaux des maisons détruites ne manquaient pas. Puis presque chaque nuit, ils opéraient des sorties en passant la rivière à gué. Ils infligeaient ainsi à l'ennemi des pertes, certes faibles, mais imprévues qui entretenaient la tension chez les assaillants. De plus, ils s'efforçaient de détruire les points d'appui que les ennemis avaient établis dans la journée.
Pleins d'imagination, ils avaient inventé de traverser une nuit la rivière avec une trentaine de chèvres. Ils avaient fixé des flambeaux à leurs cornes et, arrivés de l'autres côté, ils allumèrent ces torches et chassèrent ces pauvres bêtes affolées à travers les vignes. Bien sûr, ce n'était pas déterminant, mais le réveil en sursaut du camp royal suivi d'une mousquetade intempestive entretenait l'insécurité et faisait brûler des munitions précieuses.
Pourtant, l'isolement du village assiégé entraînait une sérieuse baisse de moral, bien que les bombardements se soient notablement espacés. Visiblement on manquait de munitions chez le Roi . Enfin, dans la nuit du 24, François Dusson, le beau-père des deux commandants de la place put faire rentrer 50 à 60 hommes qui l'accompagnaient.

Des femmes au combat

Le 25, deux hommes peuvent sortir pour aller chercher du secours. Dans les jours qui suivent un certain calme se rétablit. Toujours des escarmouches mais de faibles bombardements. Thémines fait établir une passerelle légèrement en amont de l'angle sud-ouest des remparts. Jusqu'au 5 ou 6 octobre, il plut beaucoup rendant difficile les mouvements des assiégeants. Thémines est toujours en attente de munitions.
Du nouveau dans la nuit du 8 au 9 Gaultier de Saint Blancard, un officier d'expérience parvint à forcer les postes de garde du pont nord et à faire rentrer dans la place près de 300 hommes, pratiquement sans pertes. Il prend le commandement. Aussitôt, sous le tir des assiégeants, de nouvelles défenses sont érigées et renforcées.

Mais le 10octobre, un convoi de munitions parvient à Thémines. Aussitôt la canonnade reprend. Du 10 au 12 octobre, le village reçoit de jour comme de nuit, 1260 boulets qui font naturellement de grands ravages toujours réparés. Le 12 à la mi-journée un grand silence s'étend sur le village pendant que s'élève un dense nuage de fumée et de poussière. Thémines, trompé, croit arrivée la fin de la résistance. Il lance dans la pente trois colonnes d'assaut de 1 500 à 1 600 hommes chacune. Ils tentent de traverser la rivière et sont reçus à coup de mousquets et de piques. Ils sont repoussés deux fois. Au troisième assaut, ils sont tout près du succès. D'Amboix, au centre, fait jeter des grenades et des barils de poudre et d'artifices sur ceux qui ont réussi à traverser l'Arize, le centre de l'attaque se retire. Pourtant, la droite (angle nord-ouest) est en grand péril. Saint Blancard ramène tous les hommes disponibles et accourt accompagné de nombreuses femmes qui se jettent courageusement dans la bataille à coups de pierres. L'assaut est repoussé.

C'est le repli !

Devant cet échec, Thémines ordonne le repli. Il a perdu 600 hommes et autant de blessés. Chez les réformés, on déplore 60 morts (hommes et femmes) et 100 blessés. Thémines se résout à lever le siège. Dans les jours qui suivent quelques coups de canon protègent le repli des postes de garde et l'évacuation des canons tirés par des cordes dans la pente glissante où ils s'étaient installés.
Le 20 octobre, il ne reste plus rien des assiégeants sauf de nombreux cadavres.

Cet épisode eut un énorme retentissement dans tous les fiefs réformés. Enhardi, Rohan veut reprendre le combat. Mais la lassitude s'installe et il est peu suivi. Après plusieurs tentatives sans grand succès, Rohan s'installe à Alès qui capitule à son tour le 16 juin 1629. Rohan s'exile à l'étranger. La paix est signée à Alès le 27 juin 1629. Dusson et d'Amboix y représentaient les réformés du Comté de Foix.
Cet " Edit de grâce " laissait aux protestants leur liberté de conscience et de culte. Mais le retour des catholiques est confirmé, la reconstruction de leurs biens devant se faire aux frais des réformés et toutes les fortifications des villages (protestants ou catholiques) devaient être démantelées, ce qui sera fait au Mas d'Azil en 1632.
Ainsi s'achève cet épisode glorieux du siège du Mas d'Azil. La suite devient une cohabitation souvent difficile entre les deux religions. Puis la révocation de l'Edit de Nantes (1685) vient redistribuer toutes les cartes.

Hubert d'Amboix
membre de l'ERE du Mas d'Azil