Méditation biblique Jésus
radicalise l'enseignement des prophètes, Matthieu 23 Et si Dieu avait permis lavènement des philosophies du soupçon pour que les chrétiens se reprennent et quils se repentent de leurs inconséquences ? Il est possible que Dieu nait aucun plaisir à nous entendre " brailler nos cantiques " (Amos 5,23). Piqûre de rappel pour que nos cantiques ne soient pas comme un opium. Nous avons du mal à imaginer notre Dieu nous faire un tel reproche. Et surtout avec une telle dureté. Est-il possible que nos chants, nos cultes et nos prières lirritent à ce point ? Avons-nous, ne serait-ce quune fois, envisagé une telle éventualité ? Et dailleurs, nest-ce pas linconséquence des chrétiens qui a déchaîné la critique de certains penseurs, critique que nous devons prendre très au sérieux. Comme nous devons prendre au sérieux la Parole de Dieu, toute la Parole ; pour la recevoir, la mettre en pratique et la transmettre, comme Amos la fait. Et cela même si les auditeurs ne vont guère goûter à notre prose : " Amassia dit alors à Amos : visionnaire, décampe dici et rentre au pays de Juda. Là-bas tu pourras gagner ton pain en faisant le prophète " (7,12). Jésus ne sera pas plus apprécié. En prolongeant et en radicalisant le discours des prophètes, il a dailleurs conscience de signer son arrêt de mort. Cest Matthieu qui rapporte ses paroles en détail, dans le chapitre 23 de son évangile. Jésus y critique violemment les pharisiens et les scribes, les religieux. A la suite des prophètes, le Christ a tout fait pour que la pratique religieuse ne devienne pas une fuite hors de la réalité. Il aurait fallu que Marx, Nietzsche et Freud méditent longuement ces textes ! Opium du peuple ? Marx na inventé ni lidée, ni la formule mais, sappuyant sur les philosophes du XIXe siècle, qui récusaient les croyances comme fausses, il creuse encore un peu plus et voudrait nous éclairer quant aux mécanismes qui fondent selon lui la croyance. Dans ses écrits, il comparera la religion à une guirlande de fleurs qui masque les chaînes par lesquelles les humains sont entravés. Elle nest pas la cause du malheur de lhomme ; elle est même parfois la dernière des protestations devant loppression, mais cest une protestation inutile, inefficace, illusoire " La misère religieuse est tout à la fois lexpression de la misère réelle et la protestation contre cette misère. La religion est le soupir de la créature tourmentée, lâme dun monde sans cur, de même quelle est lesprit des situations dépourvues desprit. Elle est lopium du peuple ". Ainsi Marx est plus ambigu quon a bien voulu le faire croire. Et si nous ne pouvons le suivre lorsquil sous-entend que la religion est forcément une construction humaine (nous croyons, pour notre part, que Dieu a mis dans le cur de lhomme la pensée de léternité et quil y a bien, en chacun de nous, ce vide en forme de Dieu qui nous laisse insatisfait), nous reconnaissons cependant que la religion est bien souvent une construction humaine et une fuite hors de la réalité. Nous sommes même forcés dadmettre que les êtres humains finissent, la plupart du temps, par sécarter de la grâce pour revenir à la malédiction de la loi. Nous commençons par lesprit et nous voulons continuer ou finir par nos propres forces (Galates 3,1-3) ! A force de lois nous en oublions même lessentiel pour nous perdre dans le détail. Ainsi lhomme en revient presque toujours à vouloir se justifier par ses actes, et en sécartant de la grâce, il finit par sécarter aussi de la véritable obéissance. Kant lui-même dira au XVIIIe siècle : " On croit servir Dieu lorsque par exemple, on le loue, on célèbre sa puissance, sa sagesse, sans penser à la manière dobéir aux lois divines, sans même connaître et étudier la puissance et la sagesse de Dieu. Pour certaines gens, les cantiques sont un opium pour la conscience et un oreiller sur lequel on peut tranquillement dormir ". Le sermon sous la montagne ! Lorsque nous examinons le chapitre 23 de lévangile de Matthieu, nous découvrons que Jésus est peut-être en train de formuler la première des condamnations dune religion utilisée à des fins économiques : " vous prenez aux veuves tout ce quelles possèdent " (v.14). Et Jésus ne sarrête pas là. Après avoir dénoncé linconséquence et lorgueil des responsables spirituels, il va prononcer huit parole de malédiction qui semblent faire écho aux béatitudes du sermon sur la montagne. Une sorte de sermon sous la montagne ! Une expédition dans les profondeurs de lâme humaine. Une description terrible et sans concession de ce que lhomme peut faire de la Parole de Dieu. Des paroles terribles mais finalement rassurantes car la Bible porte en elle sa propre critique. Nous navons plus aucun excuse. Quavons-nous fait des prophètes que Dieu nous a envoyés ? Que faisons-nous de cette Parole si précise ? Dieu attend notre repentir et trop souvent nous ne venons à lui que par intérêt. Une vérité magistralement illustrée par Marcel Pagnol dans " Manon des sources ". Le coup de lAdolphin Leau ne coule plus et le village est en émoi. Le prêtre a souligné au début de son sermon, le caractère inhabituel dune présence aussi massive des paroissiens à la messe de ce dimanche. Il enchaîne : " Quand jétais jeune (mon père était un paysan comme vous dans un petit hameau près de Sisteron) nous avions un cousin qui sappelait Adolphin. Il habitait un autre village, pas trop éloigné du notre, et pourtant il ne venait jamais nous voir, ni pour les fêtes, ni pour les naissances, même pas pour les morts. Mais de temps en temps (à peu près une fois par an) jentendais mon père qui disait : " Tiens voilà lAdolphin qui samène ! Il doit avoir besoin de quelque chose ". LAdolphin montait le sentier, tout habillé des dimanches. Il nous faisait des amitiés, des compliments, et il parlait de la famille à vous mettre les larmes dans les yeux. Et puis au moment de partir, quand il avait embrassé tout le monde, il disait : " A propos Félicien, tu naurais pas une charrue de reste ? Jai cassé la mienne sur une souche dolivier. ". Une autre fois, cétait un fagot de sarments pour ses greffes, - parce que mon père faisait un vin fameux ou alors, son cheval avait des coliques, et il fallait lui prêter le mulet. Mon père ne refusait jamais, mais je lai souvent entendu dire : " LAdolphin, cest pas un beau caractère ". Eh bien ! mes amis, ce que vous faites aujourdhui au bon Dieu, cest le coup de lAdolphin ! Il ne vous voit presque jamais, et brusquement vous arrivez tous, les mains jointes, le regard ému, tout estransinés de foi et de repentir. Allez, allez, bandes dAdolphins ! Il ne faut pas vous imaginer que le bon Dieu soit plus naïf que mon pauvre père, et quil ne vous comprenne pas jusquau fin fond de votre petite malice ! Il sait très bien le bon Dieu quil y a en a pas mal ici qui ne sont pas venus pour lui offrir un repentir sincère ou pour faire un pas dans la voie de leur salut éternel Il sait bien que vous êtes là parce que la source ne coule plus ! Il y en a qui sont inquiets pour le jardin, dautres pour la prairie, dautres pour les cochons, dautres parce quils ne savent plus quoi mettre dans leur pastis ! Ces prières que vous avez la prétention de lui faire entendre, ce sont des prières pour les haricots, des oraisons pour les tomates, des alléluias pour les topinambours, des hosannas pour les coucourdes ! Allez tout ça cest des prières adolphines ! Ça ne peut pas monter au ciel, parce que ça na pas plus daile quun dindon plumé ! ". Cessons de brailler ! Et si nous chantions un peu moins et que nous pratiquions un peu plus la justice ? Et si nous arrêtions dajouter de nouveaux articles à notre discipline pour essayer de vivre ceux qui sont déjà là en étant un peu plus cohérents ? Et si nous allions au culte, non pas pour nous faire du bien mais pour nous mettre au service de Dieu et chercher à comprendre ce quil attend de nous ? Et si nous revenions à la source ? Quel renouveau ce serait dans nos vies et dans nos Eglises, et Dieu se régalerait alors de nos cantiques !
Pascal Gonzalez |