Histoire de l'Eglise

De la centralité de l'Ecriture chez les Vaudois
Les Vaudois, peuple de la Bible

A travers le temps et l'espace, les Vaudois manifestent un vif intérêt pour la Bible : sa méditation et sa diffusion. Cette centralité de l'Ecriture que de rudes persécutions récurrentes ne purent réprimer en font les indéniables précurseurs de la Réforme. Il vaut la peine de se mettre à leur écoute.

Du XIIe siècle avec l'impulsion de Vaudés (ou Pierre Valdo) jusqu'au XVIe siècle avec, en France, leur ralliement à la Réforme, les Vaudois peuvent être appelés à juste titre " le peuple de la Bible ".
Il vaut la peine de suivre leur parcours de foi, avec sa conviction et sa persévérance, ses méandres parfois, ses terribles souffrances et ses secrètes victoires, dans un constant rapport à l'Ecriture Sainte. Ce parcours de la Bible à la Bible nous est un chemin pour aujourd'hui : connaître et faire connaître la Parole de Dieu, la faire profondément nôtre et la partager avec élan, voilà bien un appel qui ne cesse de retentir sur nos vies et qui nous permet d'affirmer avec les Réformateurs Farel et Viret : " La cause des Vaudois est la nôtre à tous ".

La vocation de Vaudés à la pauvreté radicale est profondément liée à l'urgente conviction de prêcher la Parole ; comme les disciples de Jésus, il s'agit de porter le message biblique de façon prioritaire. Les " Pauvres de Lyon " se spécifient notamment par l'acuité de leur conscience missionnaire. Mu par ce pressant souci de transmettre au plus grand nombre le message évangélique, Vaudés commande la traduction des textes bibliques en langue populaire. Parce que le message biblique concerne tout l'homme et tous les hommes, tous doivent y avoir accès ;du plus petit au plus grand, riches ou pauvres, hommes ou femmes, clercs ou laïcs, tous sont concernés par l'Evangile, tous doivent donc y avoir libre accès.
quatre siècles plus tard, c'est le même état d'esprit qui permettra aux Vaudois du XVIe siècle d'être ouverts à l'idée d'une traduction de la Bible en français (désormais langue de fonctionnalité), allant même jusqu'à la financer eux-mêmes.

Faire connaître la Parole de Dieu…

Il faut mesurer ce que ces démarches ont d'extraordinaire.
- Commander la traduction du texte biblique en langue populaire en l'accompagnant d'un ministère d'évangélisation et d'édification, c'est initier un bouleversement des plus radicaux. C'est dire que le texte biblique n'est pas réservé à une élite, fût-elle sacerdotale, mais qu'il est la Parole d'un Dieu proche de chacun ; c'est dire ainsi aussi que le quotidien est concerné par cette Parole de vie.
- Renoncer à des habitudes séculaires en soutenant la traduction française de la Bible, c'est sacrifier consciemment une part de son identité et de ses préférences affectives pour donner la priorité au texte biblique, tant à sa diffusion qu'à son autorité normative.
Voilà bien une démarche bouleversante, novatrice et courageuse, qui ouvre à la liberté et à la responsabilité.

Les Vaudois ne cesseront d'être d'infatigables colporteurs de la bible en langue vernaculaire. La chanson-hymne bien connue du Colporteur vaudois reprend le récit d'un inquisiteur du XIVe siècle, évoquant cette évangélisation qui se poursuit malgré la persécution : le colporteur vaudois saisit l'occasion de sa vente ambulante pour présenter la Bible et son message, tout en gardant une certaine prudence dans le cadre répressif de la persécution.
Si la littérature de sensibilisation et d'édification (elle aussi dans la langue de la quotidienneté) y joue un rôle important, c'est la transmission orale du texte biblique qui paraît déterminante.
Les colporteurs vaudois, les prédicateurs itinérants que l'on appelait " barbes " apprenaient par cœur de larges portions du texte biblique ; consignée par l'Inquisition, la liste des livres entiers mémorisés en provençal alpin par le barbe Griot apparaît aujourd'hui bien impressionnante  !  Mais, notons-le bien, cette mémorisation n'est pas l'apanage des barbes, voici ce que nous rapporte le dominicain Etienne de Bourbon (XIIe) : " J'ai vu de mes propres yeux un jeune rustre qui n'a passé qu'une seule année dans la maison d'un hérétique vaudois mais qui, à force d'écouter attentivement et de répéter soigneusement ce qu'il avait entendu, avait appris par cœur dans ce court délai quarante évangiles du dimanche. Tout cela il l'avait appris mot à mot dans sa langue maternelle… " ( cité dans J. Gonnet & A. Molnar, 1974).
Un document du XIIIe nous instruit aussi sur la centralité de l'Ecriture dans la vie quotidienne des Vaudois et sur leur zèle exemplaire pour une écoute obéissante qui se poursuit dans la dynamique d'un partage enthousiaste (ibid.).

… à tout prix !

Et c'est bien en tant que propagateurs de la Bible que, d'emblée et de plus en plus radicalement, les Vaudois se heurtent au clergé qui déteint la prérogative de la prédication et l'usage de la Bible.
Les interdictions, expulsions, anathèmes, polémiques, vexations, spoliations, pogroms, tortures dont sont victimes les Vaudois au cours des siècles - y compris en tant que Huguenots -, incarnent aussi douloureusement qu'explicitement ce combat de l'Eglise instituée contre la libre circulation de la bible. Un autodafé perpétré au XVIe siècle est en ce sens bien symbolique : le condamné est brûlé avec deux bibles suspendues au cou.
A la lumière de ce parcours persévérant et exemplaire à bien des égards, on comprend que Calvin ait pu affirmer : " Les Vaudois ont été des anticipateurs du grand mouvement de la Réforme. "
D'ailleurs, dans leur démarche d'adhésion à la Réforme, les Vaudois, avec une rare humilité, recherchent ce qui doit être réformé dans leur doctrine ou leur comportement, et cela à la seule lumière de l'Ecriture.
Que dans leur sillage, nous fassions profondément nôtre cette conviction dynamisante que l'on trouve exprimée dans un manuscrit vaudois conservé à Cambridge : " En aquesta vida non es alcuna cosa melhor ni alcuna plus profeytivol que la parolla de Dio. " (Il n'y a, en cette vie, rien de meilleur ni de plus profitable que la parole de Dieu.)

Annie Bergèse,
diacre spécialisé