Histoire de l'Eglise

Mathurin Cordier, pédagogue " officiel " du calvinisme
A l'école de la Réforme

Mathurin Cordier, apprécié pour sa pédagogie et son amour des enfants, contribue avec compétence à l'un des fers de lance de la Réforme : l'instruction ; l'un de ses ouvrages sera utilisé et réimprimé jusqu'au XIXe siècle ! Sa consécration est aussi un enseignement pour nous aujourd'hui…

On dit que " l'école est fille de l'imprimerie et de la Réforme ". De nombreux protestants se sont en effet intéressés à la pédagogie. L'école apparaît indispensable pour l'apprentissage de la lecture pour lire la Bible, mais également pour former des pasteurs et des chrétiens engagés dans la cité."
Il est donc nécessaire d'ouvrir des écoles pour que la foi se propage : " l'Église n'a jamais fleuri sans école " selon Calvin. Aussi la discipline de l'Église réformée du Royaume de France en 1559 stipule que " les églises feront tout devoir de faire dresser écoles et donneront ordre que la jeunesse soit instruite ". Pour la Réforme, le savoir est recherché uniquement pour servir la piété, c'est pourquoi l'école est placée sous la dépendance de l'Église.
Les premières écoles protestantes sont donc des instruments de diffusion des idées réformées qui se répandent très rapidement. Et quand finalement ces écoles devront fermer, la propagation des idées reformées se réduira considérablement notamment avec la Contre-Réforme d'Ignace de Loyola, fondateur de l'Ordre des Jésuites, qui comprend que pour arrêter l'hérésie protestante, il faut créer des écoles où sera enseignée la doctrine de l'Église catholique romaine.

Apprentissage d'un futur maître d'école

Mathurin Cordier est né en 1479 dans une famille pauvre, mais qui peut cependant lui permettre de poursuivre des études. A cette époque, l'enseignement est fondé principalement sur la lecture et le commentaire des textes écrits. La langue utilisée est le latin, mais elle est mal enseignée. Il n'y a pas d'instruction religieuse (cela ne viendra qu'avec la Réforme et la Contre-Réforme). Dans les collèges, la discipline est sévère car les professeurs sont conscients qu'ils ont une responsabilité dans la formation morale des enfants et pensent que seuls les châtiments corporels les mèneront à la "vertu". Par contre dans les études supérieures, les étudiants ont des vies très libres et mouvementées, ce qui entraînent beaucoup d'échec.
L'Humanisme et la Réforme vont venir perturber ce mode d'enseignement. C'est ainsi qu'à l'âge de 13 ou 14 ans, alors qu'il est élève au collège, Mathurin Cordier a pour professeur l'humaniste Lefèvre d'Etaples qui va avoir une grande influence sur sa foi et sa piété. Un autre humaniste, Erasme, viendra quant à lui l'initier à une pédagogie réunissant dans un même enseignement les préceptes de la morale chrétienne et la culture littéraire des anciens que l'esprit de la Renaissance veut redécouvrir: Cette pédagogie porte le nom de "Pietas Litterata", (piété cultivée) que Mathurin Cordier cherchera à pratiquer toute sa vie.

En 1514, à 35 ans, après avoir été prêtre à Rouen, Mathurin Cordier se rend à Paris et travaille comme professeur de latin dans plusieurs collèges de la capitale. C'est ainsi qu'au collège de la Marche, il a le jeune Jean Calvin comme élève. C'est là encore qu'il rencontre l'imprimeur Robert Étienne qui lui fait découvrir la Bible et les idées réformées qu'il fera siennes très rapidement.
Son avenir professionnel va être alors tributaire de son adhésion aux idées dites " évangéliques ". A Paris, des troubles sont causés par l'affaire des placards en octobre 1534 (textes dénonçant les abus de la messe affichés dans les lieux publics jusque sur la porte de la chambre de François 1er à Amboise). Beaucoup de personnes sont arrêtées et brûlées. Le 25 janvier 1535, 73 personnes doivent comparaître devant les autorités. Mathurin Cordier en fait partie, mais il n'est déjà plus à Paris. Il a fui à Bordeaux et enseigne au Collège de Guyenne. Là, Mathurin Cordier peut mieux exprimer ses idées nouvelles. Mais il n'est pas pleinement libre de partager sa foi car une des règles du collège est de " ne pas parler en mal de la religion catholique orthodoxe ".

Un professeur infatigable

C'est alors que son ancien élève, Jean Calvin, l'appelle à Genève fin 1536. Mathurin Cordier répond favorablement à cet appel car si en France l'heure n'est pas encore venue de fonder des collèges protestants, à Genève par contre, grâce à l'œuvre de Guillaume Farel, l'accueil y est très favorable. Le voici donc nommé en Suisse comme professeur du collège de Rive. Là, il commence avec l'aide de Calvin, à élaborer les principales orientations de la pédagogie protestante : les maîtres doivent donner le meilleur exemple possible à leurs élèves et doivent les instruire dans l'apprentissage des langues (latin, hébreu, grec) comme dans la connaissance des sciences profanes. L'enseignement religieux est très présent : prière avant chaque leçon, lecture d'un chapitre de la Bible avant chaque repas et pendant le repas, chacun doit réciter une sentence de l'Écriture en diverses langues selon ses capacités. Le soir avant d'aller souper l'élève récite les dix commandements, l'oraison dominicale et le Symbole des apôtres. En plus, Farel donne quelques leçons de Nouveau Testament et Calvin, d'Ancien Testament...
Mais en 1539 Mathurin Cordier quitte Genève car la ville décide de chasser les deux Réformateurs. Farel fuit à Neuchâtel et y appelle Cordier qui de par sa notoriété attire beaucoup d'étudiants, tandis qu'à Genève le collège qu'il vient de quitter ne marche plus aussi bien.

En 1542, lors d'un voyage à Genève, Mathurin Cordier rencontre Sébastien Castellion pédagogue protestant lui aussi. Ils reconnaissent ensemble qu'il n'existe pas d'ouvrages adaptés aux enfants dans lesquels les débutants puissent apprendre les rudiments de la langue latine et en même temps recevoir un enseignement moral et religieux. Mathurin Cordier va donc se mettre à écrire. Mais en 1545, il est mis en congé car l'école ferme pour des raisons financières. Pierre Viret en profite pour l'appeler à Lausanne disant à son sujet : " Jamais à ce moment-là, jamais, j'ai tout lieu de le croire, nous n'aurons à nous repentir d'avoir confié notre jeunesse à un pareil maître ". A Lausanne, le collège est une école préparatoire à la théologie et l'enseignement vise à former principalement des pasteurs de langue française. Avec l'arrivée de Mathurin Cordier, beaucoup d'élèves s'inscrivent. Le rêve de Calvin peut enfin se réaliser: avoir une organisation complète d'instruction protestante formée de l'Abécédaire, du Collège et de l'Académie. Le Réformateur gardera toujours beaucoup de gratitude à l'égard de Mathurin Cordier et lui dédicacera son commentaire de l'Épître aux Thessaloniciens.

En 1557, Mathurin Cordier donne sa démission pour partir à la retraite. Il a 73 ans ! Mais Pierre Viret, à son tour chassé de Lausanne, se rend à Genève et Cordier part finalement avec lui. En 1562, une place de régent de 5ème est vacante dans le collège de cette ville et Mathurin Cordier l'accepte, il a alors 82 ans. En même temps, il travaille à son oeuvre écrite la plus importante, Les Colloques. Cependant, depuis 1 an, il est malade, attristé par la mort de Calvin en 1564. Il meurt trois mois après avoir repris la classe.

Pédagogie reformée

Mathurin Cordier a été apprécié pour sa pédagogie et son amour des enfants. Quicherat écrit : " Il était l'idéal du professeur élémentaire parce qu'il aimait l'enfance et savait se faire comprendre d'elle ". Il a écrit des livres non pas théoriques sur la pédagogie, mais des livres scolaires destinés aux enfants, avec un enseignement progressif, pour qu'ils apprennent le latin et la foi chrétienne et cela en n'hésitant pas à utiliser le français pour être mieux compris. Il innove aussi en faisant confiance aux enfants et en les respectant, reconnaissant l'utilité des jeux et du repos, et en refusant les châtiments corporels. Son œuvre principale, Les Colloques, sera si appréciée qu'elle sera utilisée et réimprimée jusqu'au XIXe siècle pour l'enseignement du latin ! C'est un manuel de conversation que l'on peut comparer à ceux que les enfants utilisent de nos jours pour apprendre une langue vivante à la différence que les dialogues contiennent généralement un enseignement moral chrétien. On y découvre la vie de l'écolier du 16ème siècle, (leçons, jeux, vacances...) et afin que l'enseignement moral porte ses fruits, les enfants mis en scènes sont parfois râleurs, paresseux, fêtards... ce qui donne quelques situations amusantes dans lesquelles les élèves peuvent se reconnaître facilement ! Pour C.E. Delormeau, ce livre est un petit traité de morale chrétienne et un catéchisme réformé, tandis que pour P. Mesnard, c'est certainement le chef-d'œuvre de la littérature calviniste en matière de pédagogie.

Mathurin Cordier met donc en pratique cette " pietas litterata  " d'Erasme, car pour lui il vaut mieux un homme pieux qu'un homme lettré, l'éducation étant première par rapport à l'instruction. Le maître doit donc partager sa foi avec ses élèves et son exemple de vie doit entraîner les enfants à imiter le Christ. C'est ainsi que pour P. Mesnard " la pédagogie de Mathurin Cordier est la pédagogie officielle du calvinisme " .

Corine Fines,
pasteur à Nîmes