Ecclésiologie

Témoins de la vérité
La confession de foi a-t-elle encore un sens ?

La confession de foi est-elle nécessaire ? pour moi ? pour l'Eglise ? Lire ou réciter des textes rédigés il y a des siècles, n'est-ce pas pour le moins saugrenu ? Et le danger de l'intégrisme ? Une réflexion décapante contre les idées reçues pour un témoignage renouvelé.

Le 16 mai 1553, cinq " escholiers " de Genève, étudiants en théologie arrêtés lors d’un voyage vers le sud de la France, sont brûlés vifs à Lyon. Quelques jours auparavant, Jean Calvin leur adresse une lettre les assurant des tentatives en cours pour renverser le verdict et leur rappelant que, quelle qu’en soit l’issue, Dieu les emploie "à être témoins de sa vérité ".
Pourquoi revenir sur cette page d’histoire en parlant de confessions de foi ? Simplement parce qu’il est bon de rappeler le lien indissociable entre vie chrétienne, conviction personnelle et confession de la vérité. Peut-être n’est-il pas inintéressant de noter que ces " escholiers ", alors qu’ils étaient dans la charrette qui les conduisait au supplice, chantaient des psaumes… et proclamaient le Symbole des Apôtres !
De nos jours, les choses ne sont pas si simples. Dans notre contexte actuel où la devise est, à peu de choses près, " à chacun sa vérité " – celle-ci étant à personnaliser au gré des circonstances et de " l’offre spirituelle " du moment – le chrétien peut, en effet, se sentir intimidé devant l’exigence de confesser, non pas " sa " vérité, mais la vérité ! Ne vaudrait-il pas mieux prôner une tolérance bien pensante et se consoler, discrètement, de ses convictions intimes, plutôt que d’insister sur un document suranné, et qui pourrait faire croire qu’un groupe d’hommes détient, à lui seul, le monopole de la vérité ?

Vérité personnelle et histoire

Pour y répondre, il faut d’abord préciser deux points. Le premier est le caractère personnel de la vérité. Non pas que chacun puisse en faire ce qu’il veut ! Mais pour les auteurs bibliques, la vérité est personnelle en ce sens où, loin d’être un simple état de faits neutre et impersonnel, elle s’enracine dans la personne même de Dieu. C’est lui qui est la réalité éternelle dont procèdent nos réalités créées et qui a façonné celles-ci pour qu’elles soient à l’image de son caractère de Dieu vivant et vrai. La vérité, en dernier ressort, n’est autre que Dieu lui-même.
Ce n’est donc pas un hasard si, dans les évangiles, le Christ, juste avant de proclamer à ses disciples : " Celui qui m’a vu a vu le Père ", fait cette affirmation à peine croyable : " C’est moi… qui suis la vérité ! " (Jean 14. 6). Cela comporte déjà une implication énorme, et il faudra y revenir, à savoir : l’impossibilité de séparer notre spiritualité de la compréhension, d’une " saisie " de la vérité. Les deux choses ne s’opposent pas mais, au contraire, s’imbriquent l’une dans l’autre.

Le deuxième élément concerne le rapport entre Dieu et notre monde : pour la Bible, Dieu dévoile son caractère et ses intentions au moyen d’actes historiques. Il ne reste pas vérité indicible, à découvrir éventuellement au fond de soi. Au contraire, Dieu se fait connaître " objectivement ", en dehors de nous, dans le contexte de l’histoire. Sa révélation trouve un ancrage dans des événements que l’on peut décrire et interpréter. Une fois de plus, la parole de Jésus est ici significative : " C’est moi qui suis la vérité ! ". Est-ce parce qu’il aurait réussi, le premier, à toucher du doigt une réalité cachée, l’étincelle du divin au fond de chacun ? Non. Derrière cette affirmation se dresse plutôt la conviction qu’en Jésus-Christ, Dieu a agi de façon décisive afin de retirer le voile et de se donner à nous. Le Dieu qui " habite une lumière inaccessible " s’est fait connaître par son Fils (1 Timothée 6, 16).

Fragilité et nécessité de notre confession

Il en découle deux conséquences capitales. La première, c’est ce que quelqu’un a appelé récemment " la fragilité des orthodoxies ". Fragilité car, à la différence d’autres spiritualités qui foisonnent en Occident depuis quelques années, la foi chrétienne reconnaît que sans cet enracinement historique elle n’est rien ! Sa véracité dépend du rapport avec des événements d’histoire. Si ces derniers pouvaient être réellement démantelés, le christianisme s’évanouirait du même coup, car Dieu ne se serait pas fait connaître.

Mais, deuxièmement, la nécessité d’une confession de foi devient dans cette perspective évidente. Car si ce Dieu qui est lui-même la vérité se révèle de manière précise et dans un cadre défini, notre connaissance de lui doit s’édifier en rapport constant avec les événements où il s’est fait connaître et l’interprétation qu’il nous en fournit. Nous ne pouvons rencontrer Dieu que là où il choisit de se révéler !
Ce lien entre révélation du Dieu-vérité et contenu explique pourquoi Paul, essayant d’en découdre avec un enseignement qui relativisait la portée de la résurrection, rappelle l’évangile par lequel, dit-il, " vous êtes sauvés, si vous le retenez dans les termes où je vous l’ai annoncé ; autrement, vous auriez cru en vain " (1 Corinthiens 15. 1-2). Et l’apôtre de poursuivre son argumentaire en reprenant… une confession de l’Eglise primitive (v. 3-7). Confesser notre foi de façon précise est primordiale car notre attachement à Dieu ne peut s’affermir qu’au regard d’un contenu. Dès lors, peut-on s’étonner de ce que, dans une tout autre situation, ce même apôtre confond confession de l’évangile et adhésion au Seigneur lui-même ? " Je m’étonne que vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelés par la grâce de Christ, pour passer à un autre évangile " (Galates 1, 6). Abandonner le contenu du message c’est, dans la perspective biblique, s’éloigner de Dieu lui-même !

Spontanéité ou enracinement historique ?

Tout cela nous aide à comprendre l’importance de l’Ecriture comme source unique de " la foi transmise une fois pour toutes ". Mais cela implique-t-il pour autant une confession de foi ? Ne pourrait-on pas tout aussi bien tirer la conclusion inverse : " La Bible et rien que la Bible ! " ? Il n’y a d’infaillible, après tout, que la Parole !
Il est incontestable qu’aucune confession ne saurait rivaliser avec l’Ecriture. Il est vrai aussi qu’à une époque où la spontanéité est gage de l’authenticité, l’attachement à une confession de foi historique pourrait avoir quelque chose de saugrenu. Pourtant, rappelons-nous l’enjeu : si Dieu s’est fait connaître en un " lieu " particulier et d’une façon précise, nous tromper de cible, même partiellement, ne manquera pas d’avoir des répercussions sur la solidité de notre foi ! L’histoire de l’Eglise est jonchée de mouvements qui, en toute sincérité, se sont égarés… et en ont payé le prix fort ! Ne pas tenir compte des erreurs du passé ni, à l’inverse, des efforts de nos devanciers de serrer de plus près la vérité biblique, c’est se condamner à courir au devant des mêmes embûches, à quelques siècles d’écart.
Risquons une image. La confession de foi, bien que document humain, peut se comparer à nos maîtres d’école : nous avons eu besoin, enfants, que quelqu’un nous aide à tracer nos premières lettres, à former nos premiers mots. Nous avons appris en regardant écrire l’instituteur et en imitant son écriture. De la même manière, il est précieux de pouvoir compter sur le secours d’autres personnes venant d’autres époques et qui, saisis par le même Esprit que nous, ont clairement formulé leurs convictions et leur compréhension de la Révélation.
Certes, leur effort ne nous épargne pas la nécessaire appropriation de la vérité ! Mais il nous évite des erreurs " d’orthographe " qui nous rendraient illisibles aux autres et nous freineraient toute notre vie durant. Pour prolonger encore l’image : une confession de foi ne nous empêche pas d’avoir un style " d’écriture " propre : notre manière de vivre et d’exprimer la foi. Mais grâce à cet apprentissage parfois difficile, nous pourrons communiquer plus clairement le message à d’autres. Est-il besoin d’ajouter que maîtriser l’écriture, en étant à l’école des plus grands, nous permet aussi d’entrer plus pleinement dans le monde du livre… du Livre !

La pratique de la vérité

Nos confessions de foi du XVIe siècle ou d’autres époques disent-elles tout ? Non. Pourraient-elles être améliorées pour tenir compte du cheminement de l’Eglise depuis ou aborder des problèmes auxquels nos pères n’ont pas été confrontés ? Sans aucun doute. Il n’empêche, ces documents peuvent encore alimenter notre foi, nous amener à la contemplation de Celui qui nous rencontre en Christ et, ainsi, affermir notre conviction et notre témoignage.

Un dernier mot : nous l’avons vu, la vérité n’est pas, en fin de compte, une collection de faits impersonnels. Elle se définit en rapport avec le Dieu vivant et agissant qui l’incarne et la constitue. Il s’ensuit que, de notre côté, limiter la vérité à une proclamation verbale, même courageuse, ne la voir que dans son aspect " propositionnel " (c’est-à-dire comme une série de propos intellectuels) serait désastreux. Une demi vérité – parole sans acte – est toujours un mensonge ! Ces confessions de foi, et l’Ecriture sainte qui en est le fondement, engagent donc plus que nos bouches et notre intelligence ; elles engagent notre vie entière et nous appelle, non seulement à dire, mais encore à pratiquer la vérité (1 Jean 1. 6).
C’est ainsi que nous pourrons espérer que Dieu nous emploiera, nous aussi, comme il a utilisé les " escholiers " de Lyon et bien d’autres, " à être témoins de sa vérité ".

Donald Cobb,
chargé de cours à la FLTR