Interview

De la tristesse et de la joie…
Témoignage d'un endeuillé

Charles Nicolas est aujourd'hui aumônier hospitalier à Alès, après avoir été pasteur de l'Eglise réformée évangélique de Vauvert. Veuf et père de quatre enfants, il a accepté de parler de son deuil à la lumière de sa foi au Christ ressuscité.

nuance : Charles Nicolas, vous êtes veuf depuis plusieurs années maintenant ; vous diriez-vous consolé ?

Charles Nicolas : Il ne m'est pas possible de répondre par oui ou par non. Je dirais que je suis consolé, dans le sens de : je suis en train d'être consolé. C'est une action de chaque jour, souvent de chaque heure, quelquefois de chaque minute. Parfois, il semble que ça y est. D'autres fois, il semble qu'il faut tout reprendre à zéro. Il y a une tentation redoutable, à laquelle a succombé Rachel dont il est dit qu'elle a refusé d'être consolée (Matthieu 2.18). Je suis bouleversé que Jésus ait appelé l'Esprit saint " un autre consolateur ". C'est comme si quelqu'un se plaçait entre une tristesse mortelle et moi, pour me défendre. La consolation de Dieu est une action continue.

Quel est votre regard sur le passé ?

Si je regarde vers le passé, je trouve beaucoup de sujets de reconnaissance ; mais en même temps, le niveau de tristesse monte et tente de m'envahir. C'est une sorte de vertige, comme quand on regarde vers un précipice. Je n'oublie pas le passé, bien sûr ; mais je ne dois pas m'y attarder…

Dieu ne m'a pas montré pourquoi j'ai perdu mon épouse à 43 ans. Je le dis sans révolte. Je fais aussi le deuil de cette explication qui ne viendra peut-être jamais. Comme le disait un chrétien rencontré en Kabylie : " On n'est pas sensé tout comprendre. "

Avez-vous reçu de la part de vos proches, de l'Eglise, de vos amis, l'aide que vous espériez ?

Je dois d'abord rendre hommage à mes enfants. Aucun d'eux n'a, à aucun moment, fait quoi que ce soit qui ajoute à ma peine. Leur attitude, empreinte de discrétion mais aussi de fidèle attention, a révélé une maturité qui m'étonne. Ils avaient entre 15 et 21 ans… Les membres de l'Eglise de Vauvert ont également été admirables. Ils ont trouvé ce qu'en aumônerie hospitalière on appelle " la juste distance " (ou la juste présence !) : ni trop proches, ni trop lointains. Ni submergé, ni abandonné. C'est un très grand sujet de reconnaissance. Ensuite, je crois que Dieu donne à certaines personnes d'oser s'approcher plus près, d'accéder à une plus grande intimité. Il le faut aussi. Mais ça ne peut pas être tout le monde.

On constate que l'épreuve affermit la foi ou, au contraire, la fait vaciller. Vous êtes resté dans le ministère ; est-ce à dire que votre foi a été renforcée par votre deuil ?

Plus faible, plus près de Dieu, plus fort... C'est la marche avec Dieu. Je peux dire que j'ai vacillé, mais pas ma foi. Ce n'est pas une prouesse, c'est une grâce. La vraie foi, c'est la foi de Jésus, en nous ; la Bible le dit. Je me suis interdit de douter de Dieu. Dieu ne se trompe pas. Même si je ne comprends rien à certaines situations ; même si ça ressemble à n'importe quoi. Les exemples bibliques abondent. Il est vrai qu'après trois années, les forces m'ont manqué pour poursuivre un ministère pastoral " classique ". Mais il y aurait beaucoup à dire à ce sujet.

Ceci dit, je n'ai jamais fait semblant d'aller bien quand ça n'allait pas bien. Encore maintenant. Mon dialogue avec Dieu est respectueux et franc. Dieu peut permettre que nous vivions des situations de faiblesse ou d'inconfort inimaginables. Mais tout ce qu'il dit reste vrai ; plus vrai que tout ce que nous pouvons voir ou ressentir. C'est cela qui porte mon ministère.

Vous sentez-vous aujourd'hui plus près de ceux qui souffrent et tout particulièrement des endeuillés, des solitaires ?

Je n'ai jamais été une " force de la nature " et je me suis souvent approché volontiers des personnes dans la faiblesse. Il est évident que mon vécu récent rend plus facile encore cette " communion de fragilité " avec les souffrants. C'est une présence qui se satisfait de peu de paroles. Il y a tellement de choses qu'on ne peut pas vraiment nommer !

Et cependant, il y a des paroles qui sont comme une caresse, comme de la lumière, ou encore comme un appel de la part de Dieu, avec à la fois beaucoup de douceur et beaucoup de sérieux. J'essaie d'être attentif à ces paroles-là ; pour les autres et pour moi !

Alors, quelles paroles pour ceux qui souffrent ?

Il y a un vêtement qui convient à tout le monde, mais tout particulièrement à ceux qui souffrent ; il est fait d'humilité, de simplicité et de foi. Seigneur, je voudrais être prêt à tout, pourvu que tu sois avec moi ! " Réduire au maximum notre résistance à Dieu ! Rendre le cœur sensible à ce que l'Esprit veut me dire. Relire le psaume 131 (et bien d'autres !). Ne pas être troublé d'avoir dans son cœur de la tristesse et de la joie. Ce n'est pas anormal, car il y a bel et bien des sujets de tristesse et des sujets de joie ! Le Seigneur lui-même les voit tous, il les connaît parfaitement. " Compter les bienfaits de Dieu ! " Cela fait monter le niveau de la joie. La reconnaissance est sans doute un des meilleurs remèdes qui soit. Avoir pour horizon l'espérance vivante que Christ nous a acquise. Les sujets de tristesse, même les plus grands, peuvent être regardés comme passagers. Les sujets de joie, même les plus petits, annoncent la joie parfaite et sans fin qui est réservée pour ceux qui aiment Dieu.

 

Enfin j'ai pu, Seigneur, ouvrir un peu ma bouche 
Et tu as visité le lieu
où je me débattais comme un fou sur sa couche.
Oh ! douceur du repos de Dieu !
Un sourire est venu répondre à ce moment
que tu m'offrais : qu'elles sont bonnes
tes paroles chargées d'un tel apaisement !
Qu'ils sont bons les mots que tu donnes !

Il est venu soudain s'asseoir à mon niveau,
et pour mon regard en alerte,
ses doigts ont dessiné un horizon nouveau
au-delà d'une porte ouverte !

Charles Nicolas