Témoignage

Vous avez dit fidélité ?
La fidélité conjugale

La fidélité est perçue aujourd'hui comme un choix de vie dépassé, une forme exceptionnelle de sainteté en couple… Et si elle sous-tendait beaucoup plus un vécu actif de ce qui la constitue plutôt qu'un refus passif de ce qui la contredit ? Une réflexion sous forme de témoignage.

A l’approche d’un quart de siècle de vie commune, sur la base de notre expérience et de nos réflexions, qu’avons-nous à dire sur la fidélité et la dynamique de couple : long fleuve tranquille ? chemin qui monte ? lent endormissement ?

Mais tout d’abord, comment cette notion de fidélité est-elle perçue de nos jours ?
Dans le vocabulaire contemporain, le terme est peu usité. On a l’impression que la fidélité est au couple ce que la sainteté est au croyant : un état de vie considéré comme statique, étrange, déconnecté de la réalité. On l’admire et on la craint, elle est réservée à quelques êtres hors norme, reliés au commun des mortels par un fil vraiment ténu. Des naïfs. Ou des têtus. De plus, le concept de fidélité n’est pas assez " pêchu " pour intéresser les publicitaires. Il suppose un style de vie fort peu tentant, en tout cas pas suffisamment pour réunir des adeptes sur une île et les regarder vivre caméra au poing.
Si la fidélité n’intéresse pas les Reality Shows, elle hante pourtant les plateaux de tournage. Dans un film qui a déjà quelques décennies, François Truffaut décortique les étapes conduisant un politicien à l’adultère, avec le cortège de drames qui s’ensuit pour l’entourage.
Plus récemment dans " Fidélité ", le réalisateur Andrei Julawski teste les limites de la fidélité chez un couple dont l’épouse flirte avec la tentation, sans toutefois y succomber. Œuvre répondant aux critères contemporains pleins d’approximations, mais qui a le grand intérêt de présenter la fidélité comme un combat qui engage tout l’être et qui renvoie à une question essentielle : pourquoi rester ensemble, pour quoi ? Ce qui revient à donner à la fidélité sa dimension active, même si elle est ici quasiment réduite à l’absence d’infidélité.
La méthode pour raviver la flamme dans le couple prônée dans le très récent " Peindre ou faire l’amour " est particulièrement sournoise. Abordant le thème de l’échangisme tout en douceur (…), le message semble être qu’on peut être fidèle à son conjoint en lui étant infidèle !

Inquiétante trilogie : plus on s’enfonce dans la contemporanéité, plus la notion de fidélité devient floue.

Une affaire de gens ordinaires

Chrétiens du 21ème siècle, qu’entend-on par fidélité ? Notre réponse de couple est bien sûr qu’elle sous-entend beaucoup plus un vécu actif de ce qui la constitue qu’un refus passif de ce qui la contredit. De plus, ce n’est pas un truc d’extra-terrestres, ce n’est pas un choix de vie dépassé, ce n’est pas une forme exceptionnelle de sainteté en couple. C’est une affaire de gens ordinaires, tout à fait contemporains et pas meilleurs que les autres.

Nous allons fêter nos 25 ans de mariage. Et désormais, quoi qu’il arrive, nous aurons passé plus de temps ensemble que chacun de son côté. A l’échelle d’une existence, c’est une étape marquante. Le sentiment qui prédomine est celui de la joie et de la reconnaissance de pouvoir ensemble à la fois évaluer le chemin parcouru et envisager les prochaines étapes. Se dégage ainsi pour nous une impression forte : sans l’autre, il y a tant de choses qu’on aurait manquées, tant d’occasions d’enrichissement qui nous auraient échappé, tant de moments difficiles où l’on aurait, chacun de son côté, risqué de chavirer. Nous sommes reconnaissants de ce qu’avec nos limites, nous ayons pu continuer à avancer ensemble. En ayant fortement conscience de tout ce qu’on aurait pu, dû ou voulu vivre autrement. C’est-à-dire mieux. D’ailleurs, il serait tout aussi vaniteux d’imaginer avoir été constamment et activement fidèle à l’autre que de se penser juste aux yeux de Dieu grâce à nos œuvres. Dans un cas comme dans l’autre, il faut une parole de grâce et d’accueil renouvelés. En référence au contenu et à la durée de ces années, on pourrait dire qu’on ne jubile qu’à moitié. La fidélité intègre la conscience des manques.

L’histoire de la personne aimée

Parmi nos carences, il y a eu une prise en compte insuffisante de l’histoire de la personne aimée : ses valeurs, ses épreuves, ce à quoi elle a dû renoncer en choisissant de se marier. On met du temps à réaliser qu’on n’arrive pas de nulle part, surtout avec l’immaturité de la jeunesse.
Dans notre cas, Evelyne a quitté père, mère et terre ! Son départ pour une année d’études s’est transformé en un aller simple. Elle n’a posé le pied dans son pays que quatre ans plus tard, pour quelques semaines, avec un mari sous le bras. Et n’a maintenu le lien que par les visites reçues et rendues, mais sans jamais s’y installer à nouveau. Il faut assumer ce choix, vivre avec ce manque, se réinvestir.
Antoine est aussi arrivé avec ses carences : une famille un peu désarticulée, une foi à découvrir et à vivre en dehors de ce cercle rassurant, une maturité toute relative et une insouciance parfois proche de l’inconscience.
A ce niveau, nos deux premières ainsi que nos douze dernières années de mariage passées à Aix-en-Provence, terre hospitalière et nouvelle pour l’un et l’autre, auront été un lieu de fécondation extraordinaire. Dans un premier temps pour l’apprentissage de la vie de couple avec de bons amis étudiants pour nous entourer, et dans un second, avec une communauté constituant une grande famille.
En fait, les réalités essentielles que nous avons l’un et l’autre apportées dans le panier de mariage sont et ont été à la fois riches et difficiles : nos deux cultures et nos arrière-plans familiaux, nos projets de vie respectifs et la perspective d’un service qui allait orienter toute notre existence. Richesse des apports distincts, d’un objectif de vie précis, envie de construire quelque chose de solide. Mais aussi difficulté des différences sur lesquelles s’accorder, d’un projet de ministère ne nous engageant pas de la même manière, du lien avec nos racines respectives. On pourrait parler d’une tension obligeant à avancer en se concentrant sur l’essentiel qui fait envisager la fidélité comme une dynamique de vie.

Et puis, on ne passe pas son temps à se regarder dans les yeux. L’envie d’avancer, de passer du couple à la famille vient naturellement. L’arrivée de nos deux filles, Laetitia et Marie, a été un peu moins naturelle : deux grossesses extra-continentales, deux adoptions désirées et attendues. La dynamique de la fidélité à ce beau projet commun a été bien nécessaire durant les années d’attente d’un enfant conçu ensemble, puis de la première possibilité d’adoption. Les larmes ont fait place à la joie, les incertitudes à l’émerveillement. Marie s’est fait attendre deux ans : une étape très longue, mais vécue à trois. Pour se retrouver enfin à quatre.
Dans le cercle familial, la dynamique de fidélité du couple doit jouer avec des conceptions différentes de l’éducation nécessitant de s’accorder en apprenant de l’autre, de lâcher du lest, de dialoguer. Encore et encore.

Apprécier ce qu’il nous est donné de vivre ensemble

Dans ce mouvement de vie enclenché il y a près de 25 ans, avec nos joies et nos manques, la fidélité a consisté à ne pas céder au découragement quand on ne se sentait pas écouté(e), à tenter de mieux se comprendre et à apprécier ce qu’il nous est donné de vivre ensemble. Une dynamique engageante davantage qu’un état donné, un défi permanent qui nous fait dire merci quand on prend le temps d’ouvrir les yeux du cœur.
Evaluer le chemin parcouru serait incomplet sans prendre le temps d’envisager les prochaines étapes. La plus significative étant peut-être celle où nous nous retrouverons en couple pour la suite de notre vie. Comme la retraite, elle se prépare par ce que nos partageons dès aujourd’hui, histoire de ne pas se retrouver démunis.

Nous vous laissons un verset de psaume connu qui constitue une superbe promesse pour l’aventure du couple sous le regard de Dieu : " Le Seigneur te gardera de ton départ jusqu’à ton arrivée, dès maintenant et toujours ! " Psaume 121,8.

Antoine & Evelyne Schlüchter,
Eglise d'Aix-en-Provence