Histoire de l'Eglise

" L’astre levant venu d’en-haut nous a visités " Luc 1.78

Noël, fête païenne ?

Un regard sur les premiers siècles de l'Eglise permet de corriger l'idée communément admise selon laquelle l'empereur Constantin aurait adapté le christianisme à la fête romaine du solstice d'hiver. Au travers de ce parcours historique, nous voici interpellés sur notre témoignage chrétien.

Le très commercial père Noël ou la coutume provençale des treize desserts ont l’art d’exaspérer certains chrétiens. Finalement, se disent-ils, Noël n’est qu’une fête païenne que l’Eglise a essayé de christianiser, et ceux qui désirent suivre l’Evangile dans sa pureté ne devraient pas prendre part à ces festivités ambiguës et compromettantes. Ainsi, en réaction à la débauche des illuminations de nos rues et à la frénésie de la consommation, certains croyants ont de la peine à s’associer aux fêtes de Noël organisées par leur communauté, et certaines Eglises vont même jusqu’à supprimer toute référence, y compris à la Nativité, pour aller à contre-courant du monde.

Cette période de fin d’année pose effectivement la question de la collusion entre la foi chrétienne et la mentalité païenne. Cependant, ce que certains ont longtemps considéré comme du syncrétisme s’avère être, au cours de l’histoire, bien plus conflictuel que ce que l’on pense généralement.

L’idée communément admise, c’est que Constantin, empereur de 306 à 337, ancien adorateur du soleil, pour imposer la foi nouvelle aux masses, aurait adapté au christianisme devenu officiel la fête romaine du solstice d’hiver. Or cette célébration païenne était relativement récente. Elle avait été instaurée une quarantaine d’années auparavant par l’empereur Aurélien vraisemblablement pour commémorer la dédicace du temple au soleil sur le champ de Mars, à Rome, en 274. Celui-ci l’avait appelée la fête de la naissance du soleil invaincu, et il l’avait fixée à la date du 25 décembre. Le but de l’empereur était de fonder sur de nouvelles bases le culte solaire romain tombé en désuétude et influencé par les cultes solaires orientaux, notamment le culte de Mithra.

Deux symbolismes solaires

Mais pourquoi ce culte autochtone du soleil avait-il sombré dans l’oubli ? C’est sans doute parce que, non seulement à Rome, mais aussi dans tout l’empire se répandait un autre culte, venu, comme le culte de Mithra, lui aussi d’orient : la foi chrétienne. Or Augustin, le célèbre père de l’Eglise, donne des indices qui laissent croire que la fête de la nativité du Seigneur Jésus a été célébrée le 25 décembre avant le schisme donatiste (qui eut lieu en 311), c'est-à-dire avant la conversion de l’empereur Constantin (312), à une époque où l’Eglise, allant affronter la terrible persécution de Dioclétien (303), était encore dans la clandestinité. Ainsi, ce ne peuvent donc être que des motivations internes qui ont poussés les chrétiens à célébrer la naissance de leur Sauveur le 25 décembre, et ce, en fait, grâce à des calculs cherchant à établir certaines dates historiques précises de la vie du Christ. En réalité, l’impulsion qui aurait pu guider certains vers la date du 25 décembre pour la naissance de Jésus provient des travaux exposés dans un ouvrage daté de 234 et attribué à l’évêque Cyprien de Carthage. Du coup, il est probable que la célébration de la nativité du Christ le 25 décembre soit antérieure, du moins dans certaines parties de l’empire, à l’instauration de la fête du Natalis solis invicti établie par l’empereur Aurélien.

Ce qui est en tout cas indubitable, c’est que l’ouvrage de 234 cite le texte de Malachie 3.20 " Pour vous qui craignez mon nom, le soleil de justice se lèvera, portant la guérison dans ses rayons " en référence à la naissance de Jésus. De ce fait, le symbolisme solaire chrétien est indépendant et antérieur au symbolisme solaire païen du culte de l’empereur Aurélien. Et il est fort probable que l’empereur, en rétablissant le culte solaire romain, ait voulu créer un monothéisme syncrétique capable d’embrasser tous les cultes de l’empire, et notamment de fournir une alternative aux succès grandissants des missions chrétiennes.

Une preuve a posteriori, c’est que les sermons de Noël que l’Antiquité chrétienne nous a transmis, loin de cautionner un quelconque amalgame avec les pratiques païennes, ne cessent au contraire de les dénoncer. Léon, évêque de Rome de 440 à 462, dans son septième sermon de Noël, invective ceux qui, ce jour-là, se retournent vers le soleil levant après avoir gravi les marches de la basilique et s’inclinent en l’honneur du soleil. " Que cette pratique vienne de l’ignorance, ou qu’elle soit inspirée par le paganisme, nous la déplorons et nous en souffrons vivement ; sans doute quelques-uns peuvent adorer ainsi le Créateur de cette belle lumière plutôt que l’astre lui-même, qui est une créature ; mais il ne faut pas moins s’abstenir de l’apparence même d’un tel culte. En effet, si un homme qui a renoncé à la religion des dieux rencontre cette pratique chez nous, ne sera-t-il pas tenté de regarder comme probable ce point de son ancienne croyance qu’il trouvera commun aux chrétiens et aux impies ? "

Pas d'assimilation

Ainsi, ce ne serait pas l’Eglise qui aurait tenté de christianiser un culte païen, mais ce serait l’empire romain encore païen, et se sentant menacé, qui aurait essayé de paganiser une fête des chrétiens. Et si Noël se paganise aujourd'hui par le commerce, c’est sans doute que Mammon, le dieu de l’argent et l’idole de notre temps, désire occuper le terrain qui revient en fait au seul vrai Dieu.
Cette même opposition entre foi chrétienne et paganisme se retrouve dans le quatrième canon du concile de Saragosse en 380, qui insiste pour que les fidèles soient présents à l’église pendant une période de vingt et un jours continus commençants le 17 décembre et allant jusqu’à l’Epiphanie (6 janvier). En effet, le 17 décembre débutaient les Saturnales, fêtes païennes marquant la fin de l’année, temps de débauche et d’oisiveté dont les pères de Saragosse semblaient avoir craint que les fidèles en fassent un mauvais usage.

Ce dernier exemple nous montre que non seulement le paganisme a réagi par rapport à la foi chrétienne, mais aussi que la foi chrétienne a réagi par rapport au paganisme. Toutefois, cette réaction ne s’est pas faite par assimilation d’éléments païens, mais par une organisation différente du vécu festif et cultuel.
Ainsi, pour reprendre la thématique solaire, les chrétiens n’ignorent pas la signification astronomique du solstice d’hiver, et ne sont pas insensibles aux changements qu’il produit dans l’ordre naturel, mais ils subordonnent cet aspect de la réalité à l’acte de salut opéré par le Christ en naissant de la Vierge Marie. Ce qui consacre la solennité du 25 décembre, dit encore Léon dans un de ses sermons, ce n’est pas tant la naissance du soleil nouveau que la nativité du Christ. Cependant, il reconnaît qu’ " aucun jour ne nous la rappelle plus que celui-ci, alors que la lumière nouvelle apparaît jusque dans les éléments. "

Les démêlés de Noël avec le paganisme d’hier et d’aujourd’hui nous montrent que la conformité à l’Evangile ne consiste pas pour l’Eglise à fuir le monde pour éviter d’être contaminée par lui, mais qu’au contraire le chrétien est appelé à témoigner d’une vision du monde où chaque chose est à sa juste place et où Dieu reçoit l’honneur qui lui est dû. C’est une attitude exigeante, car elle nous oblige à être en tension permanente entre deux compréhensions radicalement différentes de pratiques parfois au premier abord semblables : fêtons Noël, non pas comme les médias et la société de consommation nous y invitent, mais comme le croyant se doit d’honorer la naissance de son Seigneur, en conformité avec la Parole de Dieu.

Pierre-Alain JACOT
pasteur à l'ERE d'Anduze