Ethique

A propos du débat français sur le mariage homosexuel
Le mariage blessé


Avec " l'affaire de Bègles ", la revendication de l'accès au mariage des homosexuels a plusieurs fois retenti sur les ondes. Devant ce fait de société, la réflexion et le discernement s'imposent. Quelques nécessaires repères.

Le 5 juin 2004, le Maire de Bègles (Gironde), passant outre les interdictions qui lui ont été signifiées par le Garde des Sceaux, a célébré, pour la première fois en France, le mariage de deux personnes du même sexe. Que cela ait été, de sa part, une forme de " provocation politique " ou de " désobéissance civile ", il n’a pas manqué de susciter des prises de position parfois violentes et désordonnées, de la part de plusieurs journalistes et responsables politiques, sur la vocation du mariage et de la famille.

Un cheval de Troie

Comment comprendre que l’institution du mariage puisse être la cible d’une offensive aussi brutale, cinq ans seulement après la légalisation du PACS, qui devait sensément la protéger ? Quels sont les enjeux symboliques et pratiques de cette nouvelle revendication ?
Dans l’esprit du militantisme, qui s’est développé en France depuis une dizaine d’années, il importe avant tout que le couple homosexuel obtienne, au travers de la Loi, une forme de reconnaissance et de respectabilité sociale égales à celle dont jouit le couple hétérosexuel. Le maintien de toute forme de distinction entre hétéro- et homosexualité est ressentie comme discriminatoire et attentatoire à l’égalité des personnes.
En particulier, il ne fait pas de doute que l’accès au mariage, de ce point de vue, représente stratégiquement une forme de " cheval de Troie ", grâce auquel pourront ensuite être abattus les derniers bastions de résistances que seraient le droit à l'adoption conjointe et l’accès à la procréation médicalement assistée.

Qu’est-ce que le mariage ?

Définir le mariage, c’est déjà répondre à la question du mariage homosexuel. En effet, si le mariage n’est qu’une simple " reconnaissance sociale de l’amour ", comme l'a déclaré récemment le Maire de Bègles, l’ouverture à l’homosexualité semble imparable. Mais si le mariage est, beaucoup plus profondément, comme nous le croyons, l’institution qui articule l’alliance de l’homme et de la femme avec la succession des générations, l’idée même de " mariage homosexuel " apparaît comme une contradiction dans les termes.
En droit français, il est notable qu’un des effets juridiques les plus importants du mariage reste l’établissement des droits de la filiation. Comme l’a fait remarquer le Doyen Jean Carbonnier, " il ne faut pas d’abord penser au couple pour définir le mariage, mais aux enfants et à leur rattachement possible et effectif au mari de la mère (…). Ce qui donne sa portée juridique au mariage, c’est ce que les juristes appellent la présomption de paternité légitime ". De même, selon I. Thery : " à travers l'institution du mariage et celle de la filiation, le droit dessine un ordre généalogique qui inscrit chaque être humain dans sa double lignée, paternelle et maternelle (...) ". Et la sociologue d’ajouter : " cesser de considérer le mariage comme l'institution de la différence des sexes serait mettre en cause cette articulation immémoriale du couple et de la filiation ".

La nature hétérosexuelle du mariage

L’idée du mariage homosexuel (qui a été largement débattue, ces dix dernières années, en marge des débats parlementaires sur le PACS) a attiré sur elle des critiques de valeurs assez controversées. Mais il en est une à laquelle ont fait écho de très nombreux sociologues, psychologues, philosophes et théologiens : dans une humanité faite d'hommes et de femmes, le lien social fondateur exige un degré minimal d'" exogamie " qu'une relation homosexuelle ne satisfait pas. De ce point de vue, reconnaître le mariage homosexuel serait, pour la société, entériner l'enfermement d'une partie de l'humanité dans sa particularité, ou encourager " l'éclatement du tissu social en une constellation de communautés distinctes et autonomes ".

De plus, la condamnation dont l’homosexualité fait l’objet, dans l’Ecriture, pèse d’un poids important sur la conscience chrétienne. L'homosexualité est répertoriée par les écrivains bibliques dans la catégorie du " péché ", non pour dire qu’elle serait le fruit d’un choix volontaire et délibéré, mais affirmer qu’elle s'inscrit en rupture objective avec la vocation que revêt, aux yeux de Dieu, la sexualité humaine. Et indiquer aussi, par implication, que l’homosexualité est placée par l'Evangile de la grâce sous le signe d'une espérance de rédemption : qu’elle est contrecarrée, dans la vie du croyant, par les fruits de l’œuvre libératrice accomplie par Jésus-Christ.

Cette conviction, en théologie biblique, est étayée par des considérations qui renforcent le souci du " lien social " exprimé ci-dessus. Dans le récit des Origines, déjà, la création de l’être humain à l'image de Dieu implique une communion dans l'altérité des sexes: c'est "masculin et féminin" que l'homme est " créé à l'image de Dieu " (Genèse. 1. 27). La communion de l'homme et de la femme, dans leur différenciation sexuelle, est posée ici comme un des lieux privilégiés où s’incarne la ressemblance de Dieu. Elle est l’expression d’un ordre anthropologique fondateur. De même, l'apôtre Paul, au premier chapitre de l'Epître aux Romains (1. 18-32), condamne l’homosexualité comme étant, dans le domaine de la sexualité, le corollaire symbolique de ce qu’est l'idolâtrie sur le plan spirituel: le refus de l'altérité, ou l’" amour du semblable ", dans l’effacement des distinctions créationnelles (cf. versets 25 à 27).

Homosexualité et carence d’altérité

De nombreux militants, aujourd’hui, refusent cette critique de l’homosexualité (et le reproche de narcissisme qu'elle peut véhiculer) en objectant que l’expérience de l’altérité n’est pas absente de la relation homosexuelle. Mais cette objection, de notre point de vue, est peu convaincante. Nos interlocuteurs ont raison d’affirmer que les partenaires homosexuels ne sont pas nécessairement alter ego l’un par rapport à l’autre (comme cela a été dit trop souvent). Mais on ne peut confondre cette expérience de l’altérité avec celle qui se donne dans l’hétérosexualité, qui n’est pas seulement l’altérité des personnes, mais aussi celle des sexes.
Sous l’éclairage biblique, seule une union hétérosexuelle peut être appelée un " couple ", au sens profond du terme, dans la mesure où elle unit deux partenaires de natures différentes, et intériorise la différence sexuelle comme constitutive de l'union.

Egalité ou confusion ?

L’ouverture du mariage à deux personnes du même sexe est souvent présentée comme une revendication " anti-discriminatoire ", comme un progrès vers les valeurs républicaines d'égalité et de liberté, garantissant à tous, hétéro- et homosexuels, l'accès au "droit au mariage" prévu par l'article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l'homme.

Le débat juridique, sur cette question, est certainement plus complexe qu’il n'y paraît à première vue, comme en témoignent les évolutions les plus récentes du droit français ou celui des autres pays européens. Mais il est important de rappeler que la Cour Européenne des Droits de l'Homme, antérieurement, n’a pas admis que le couple homosexuel puisse être protégé au titre du " droit au mariage ", défini comme le droit de contracter alliance avec un individu du sexe opposé. A ses yeux, un véritable " saut qualitatif " sépare la protection de l'individu homosexuel (contre les discriminations qui pourraient être liées à ses mœurs) et la reconnaissance légale du couple homosexuel en tant que tel. Le droit social ne peut être confondu avec le droit des personnes.

Un des aspects les plus préoccupants de ce débat, aujourd’hui, c’est le fait que la recherche de l'égalité soit devenue, pour beaucoup, synonyme d'effacement des différences, et que la lutte antidiscriminatoire soit confondue avec ce que certains critiques ont appelé un " culte de l'indistinction " ou une " passion de désymbolisation ". En théologie biblique, une des caractéristiques du péché qui conduit les hommes à la mort n’est-elle pas d’établir des confusions là où la Parole de Dieu a établi des distinctions ?

En bref

Pour la société occidentale, une chose est d’aplanir les difficultés pratiques que peuvent rencontrer des personnes qui ne peuvent se marier, mais autre chose est de vouloir jouer de la force symbolique de la Loi pour institutionnaliser une équivalence entre couples hétéro- et homosexuels qui impliquerait la négation des distinctions nécessaires à la constitution et à l'épanouissement du lien social.
De tout temps, au sujet du mariage, les morales séculière et chrétienne ont été en décalages et en conflit, demain peut-être plus encore qu’aujourd’hui. Puisse l’Eglise chrétienne, en France, dans les débats qui s’ouvrent devant elle, conserver le discernement et le courage de son apostolat. Nous l’espérons en particulier du protestantisme, qui a souvent manqué de vigilance, dans le domaine matrimonial, par un attachement par trop aveugle à l’institution du mariage civil.
Que la notion chrétienne du mariage, infiniment plus riche en promesses et en exigences, reste toujours la norme et la référence du témoignage de l’Eglise dans la cité des hommes, travaillant au plus large respect de l'institution matrimoniale, dont le Seigneur a ordonné " qu'elle soit honorée de tous " (Hébreux 13:4).

Michel JOHNER
Doyen de la faculté libre de théologie réformée d’Aix-en-Provence