Mission

Regard sur la mission d'hier et d'aujourd'hui
Quelle mission pour le XXIe siècle ?

La mission, fondée sur les paroles de Jésus-Christ, est toujours d'actualité. S'il est nécessaire de faire le tri entre les apports positifs et négatifs du passé, il convient aussi d'appréhender la situation actuelle, en Occident comme ailleurs. Une solidarité fraternelle qui n'est pas seulement de l'ordre du partenariat s'impose.

La mission de l'Eglise prend sa source aux quatre paroles fondatrices prononcées par Jésus :

Il faut aussi que j’annonce aux autres villes la bonne nouvelle du Royaume de Dieu ; car c’est pour cela que j’ai été envoyé. " (Luc 4. 43)

N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains ; allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. En chemin, prêchez que le Royaume des cieux est proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour le voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton, car l’ouvrier mérite sa nourriture. " (Matthieu 10. 5)

Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. " (Matthieu 28. 19)

Mais vous recevrez une puissance, celle du Saint-Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. " (Actes 1. 8)

C'est ainsi que les disciples annoncèrent la bonne nouvelles du Royaume de Dieu et du nom de Jésus Christ (Actes 8.12 ; 28.30) en accomplissant beaucoup de signes et de prodiges, soulageant la misère des plus pauvres - signes du Royaume – depuis la Judée jusqu’aux extrémités de la terre.

Un peu d'histoire

On peut grosso modo distinguer quatre périodes dans l’histoire de la mission ( particulièrement en Afrique).

- Jusqu'en 1884, les pays christianisés (occidentaux) prennent conscience, à la suite de Christ (Imitation de Jésus Christ), de la nécessité de l’annonce de la bonne nouvelle de Jésus Christ, accompagnée d'un travail de développement pionnier et révolutionnaire pour l’époque et encore pour aujourd’hui (aspect médical, éducation, libération du cycle alimentant l’esclavage, inculturation du message et des structures d’Eglise).

- De 1884 à 1960, c’est la période de la conquête et de la mise en coupe réglée de l’Afrique par les grandes nations européennes. Les missionnaires, qui sont des hommes de leurs époques, vont être porteurs malgré eux de ce message sous-jacent. Ils développent des stratégies missionnaires dans lesquelles le modèle occidental va dominer, mais les éléments constitutifs de l’annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ accompagnée des signes du Royaume demeurent. " Tout l’évangile à tout l’homme " : travail éducatif et médical, projet favorisant le bien-être de l’homme.

- De 1960 à nos jours, c’est la période de l'indépendance des Etats et de l’indépendance des Eglises ; et, avec ces indépendances, le rejet en bloc de ce qu’ont accompli les missionnaires (souvent au prix de leur vie). Pour certains, ce rejet s’accompagne de la proclamation de la fin des missions ( voire de la mort de Dieu). Mais ici, ne pourrions-nous pas déceler une inféodalisation à l’air du temps tant reprochée à nos anciens ? Les " jeunes " missions, souvent nord-américaines, continuent quant à elles sur la poursuite de la deuxième période, mais, il faut le dire, dans des lieux et avec des populations non touchés par le travail des missions historiques et les Eglises ainsi fondées découvrent leur autonomie plus calmement que leurs aînées. C’est la période de la séparation, de la fin du paternalisme, et de la découverte du partenariat, parfois difficile, car les habitudes prises ont la vie dure.

- Et pour le XXIe siècle ? La mission reste encore à définir, en s’efforçant de tirer des leçons du passé et en tenant compte de l’ordre de notre Seigneur et de ses composantes qui restent les mêmes ; il convient aussi de ne pas occulter la diversité des situations entre les premières Eglises africaines dites " historiques " et les jeunes Eglises dites " évangéliques ".

Etat des lieux

Pour ce qui est de l'Occident, la vielle Europe comme la jeune Amérique sont touchées par une déchristianisation rapide, baignées de post-modernité et touchées par les effets de la mondialisation. Certes, il y a une croissance de l’Eglise en certains lieux et dans certaines dénominations, mais on ne peut plus parler d’Occident chrétien. De plus, avec la richesse et le niveau de vie toujours croissant se développe l’individualisme et le " cocooning " aux dépens des valeurs qui ont accompagné l’Evangile, la solidarité et la miséricorde. Résultat : la pauvreté et la misère humaines se développent aux portes des Eglises et contrairement aux périodes des grands réveils spirituels qui avaient vu le développement concomitant d’œuvres sociales au profit des plus pauvres, la croissance des Eglises aujourd’hui ne s’accompagne que rarement de la manifestation des signes du Royaume. La vision missionnaire de plus en plus étriquée que véhiculent les Eglises en est un signe révélateur.

En terre de mission (en Afrique et ailleurs), les Eglises sont en pleine croissance, c’est l’explosion ! Comme explosent les défis placés devant les Eglises et les chrétiens. Je n’en citerai que quelques-uns.

- La pauvreté : la misère et les problèmes liés à cette pauvreté.
Les premiers missionnaires s’y sont attelés avec courage et abnégation, la colonisation ne l'a pas endiguée, la décolonisation (ou néo-colonisation) n’a rien changé, la démocratisation et la mondialisation (FMI) l’ont accélérée. Les Eglises africaines sont bien souvent totalement démunies et impuissantes pour faire face à la pauvreté de ses propres membres d'abord et ensuite des populations dans lesquelles elles témoignent. Elle font ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles ont.

Une des conséquences de cette pauvreté, c'est le nombre dramatiquement réduit d’institutions de formation théologique et biblique au regard du nombre d’Eglises et de chrétiens ; ce qui implique un manque de cadres d’Eglise, de pasteurs formés, de théologiens, pouvant éduquer les chrétiens dans une nouveauté de vie. Mais, malgré cela, et Dieu merci, l’Eglise africaine est belle, vivante et dynamique ; certaines d’entre elles sont d’ores et déjà missionnaires, dans d’autres ethnies, d’autres pays, d’autres continents ( en Angleterre, par exemple).

Liés à ce déficit didactique quant à la libération de Christ, les défis éthiques qui se posent à l’Eglise sont toujours plus d’actualité : dans l’Eglise – la polygamie, par exemple – aussi bien que dans la société – la corruption, etc.

Reste (et notre état des lieux n'est pas exhaustif !) un défi qui me paraît le plus difficile à relever, le défi de l’ethnicité. Avec la démocratisation ( merci, messieurs les bien-pensants !) est réapparue en Afrique une plaie qui avait été jugulée par la colonisation et les régimes dits autoritaires, cette plaie s’appelle le fait ethnique. C'est un ferment de violence jusque dans les Eglises malheureusement (rappelons-nous le Ruanda), certaines missions n’ont pas tiré les leçons du drame ruandais.

Prier, donner, aller

Un Occident qui se déchristianise, avec des chrétiens de plus en plus centrés sur eux-mêmes et une Afrique qui est de plus en plus mal partie, mais avec une Eglise qui grandit aussi vite que les défis auxquels elle est confrontée : voilà la situation du monde à l’aube du XXIe siècle.
La mission touche-t-elle à sa fin ? Non, bien au contraire, elle est encore plus nécessaire et l’ordre de Christ aux disciples, en Matthieu 10 est plus urgent que jamais.

Le changement, c’est qu’il devient nécessaire d’annoncer (à nouveau) la bonne nouvelles du Royaume de Dieu et du nom de Jésus Christ dans nos pays car avec la post-modernité, c’est le paganisme qui est réapparu et tout particulièrement en France où laïcité devient synonyme d’athéisme.
Il nous faut également redécouvrir de quelles manières et en quels lieux nous pourrons accompagner notre annonce par des signes du Royaume de Dieu. L'Etat ayant pris à son compte les œuvres sociales de nos anciens, il nous faut ouvrir nos yeux et nos cœurs et découvrir de nouveaux lieux dans lesquels nous pourrons manifester en actes l’amour et la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ.

Le changement, c’est que les Eglises en Afrique tout en étant fortes n’en restent pas moins pauvres, alors que nous sommes toujours aussi riches et même toujours plus.
Il restera toujours une dimension d’implantation d’Eglises en Afrique mais ce sera de moins en moins seulement le fait de missionnaires étrangers. De plus en plus, il se fait un travail d’équipe et la tendance est à une action d’évangélisation sud-sud.

Par contre, si l'on veut être porteurs des signes du Royaume c'est dans la solidarité fraternelle qui n'est pas seulement de l'ordre du partenariat que cela peut se réaliser, il reste de nombreux lieux d’action que je traduirai par des formules simples mais explicites : transfert de connaissances, transfert de technologies, formation de formateurs et partage de ressources, d’expériences ( pour ne pas dire de richesses). Un tel partage n’est pas unidirectionnel, il est et peut être multi-directionnel. En effet, nous avons en Europe beaucoup à recevoir dans le partage d’expériences avec les Eglises du sud, par exemple dans l’animation villageoise qui pourrait trouver des lieux d’application dans les quartiers défavorisés de nos cités, on pourrait même s’inspirer du travail de santé primaire avec l'implantation de dispensaires pour pallier aux conséquences sanitaires de la paupérisation dans les villes (à Marseille, Médecins du monde a ouvert deux dispensaires !). Pourquoi le sud serait-il le seul à connaître le privilège d'une prise de conscience (certes par nécessité) quant à la conservation et au respect de la création ? Et que dire de la fraîcheur et la spontanéité de l’expression de la foi !etc. ! Les lieux et les possibilités de partage sont légions, à nous de les découvrir.

Non, la mission n’est pas morte ! Elle est toujours d’actualité et elle le restera jusqu’au jour du Seigneur. Et avec la mission c’est-à-dire la bonne nouvelle du Royaume de Dieu et du nom de Jésus-Christ ainsi que la manifestation des signes du Royaume, demeurent également les trois mot d’ordre d’ESMA (1) : prier, donner, aller.
Le premier, le plus simple et le plus important étant de prier, et pour prier efficacement, il faut se renseigner c’est-à-dire manifester de l’intérêt pour l’autre, ce qui est déjà le début de l’amour, celui que Christ met dans nos cœurs. Alors nous pourrons prendre à notre compte les paroles de l’apôtre en Romains 1.7-12 : " A tous ceux qui, à Rome( Ougadougou, Mahadaga...) sont bien-aimés de Dieu, appelés à être saints : Que la grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ! Je rends d’abord grâces à mon Dieu par Jésus-Christ, au sujet de vous tous, parce que votre foi est renommée dans le monde entier. Dieu, que je sers en mon esprit, en (annonçant) l’Evangile de son Fils, m’est témoin que je fais mention de vous toujours et continuellement dans mes prières ; je demande d’avoir enfin, Dieu voulant, une occasion favorable d’aller chez vous. Car je désire vivement vous voir, pour vous communiquer quelque don spirituel, afin que vous soyez affermis, ou plutôt, afin que, chez vous, nous soyons encouragés ensemble par la foi qui nous est commune, à vous et à moi. " Amen.

Patrick KELLER, pasteur à Berre, ancien missionnaire au Niger,
aujourd'hui engagé dans Radio Evangile International.

(1) ESMA, European Student Missionary Association qui est ensuite devenu TEMA, organisateur des grands congrès missionnaires de Lausanne et Utrecht.